Juin 022012
 

JOHANNESBURG (miningweekly.com) – L’industrie minière sud-africaine – pilier d’une économie nationale chiffrée à $357 milliards, la plus importante d’Afrique, et base de l’industrialisation du pays – est à un tournant, nous dit Peter Leon, un associé chez Webber Wentzel 1 où il dirige le pôle Projets miniers et énergétiques pour l’Afrique ; tout récemment encore, il présidait également le comité ‘Législation minière’ à l’International Bar Association (IBA, Association internationale du Barreau).

‘Nous sommes à un moment critique’. Dans un article détaillé que vient de publier l’International Journal of Energy & Natural Resources Law  2 sous le titre ‘Où va l’industrie minière sud-africaine ?’ (et que l’IBA, basée à Londres, a autorisé Mining Weekly à reproduire), c’est en ces termes que Leon décrit l’impasse dans laquelle se trouve l’industrie minière.

Le pays qui abrite les principales ressources minières du monde, estimées à $2,5 billions, serait arrivé à un point où des décisions importantes doivent être prises.

Tout en reconnaissant que le déclin abrupt de l’industrie minière sud-africaine n’a rien de réjouissant, Leon indique que, dans le même temps, les nouveaux systèmes de cadastre et de vérification des droits relatifs aux mines mis en place par le ministère des Ressources minérales (DMR, Department of Mineral Resources) ainsi que la perspective d’amendements importants à la loi sur le Développement des ressources minérales et en pétrole (MPRDA, Mineral and Petroleum Resources Development Act) pourraient bien présager des jours nettement meilleurs pour l’industrie minière sud-africaine.

Mais, en attendant, le secteur industriel qui redistribue des centaines de milliards de rands à ses fournisseurs, à ses employés, aux communautés environnantes, au fisc sud-africain et à ses propres mines sous la forme d’investissements – seulement 7% sont distribués aux actionnaires – est en train de gaspiller son héritage minier, impressionnant à une certaine époque.

Malgré le plus long boom des matières premières de l’histoire, la production en Afrique du Sud chute et sa contribution à la croissance économique stagne.

L’Afrique du Sud ne profite tout simplement pas de sa position prééminente, bien que devançant de quasiment $1 billion la Russie, son plus proche rival en termes de ressources minérales, avec des réserves estimées à $1,6 billion.

Une série de mauvais résultats trimestriels a plongé le secteur minier dans la récession et une succession de procès a accru l’inquiétude.

Le taux de croissance des investissements est le plus bas de tous les grands États miniers et, au niveau de la production, des bilans négatifs continuent de dominer, mais malgré cela il y a, encore une fois, une lueur d’espoir, qui provient de la volonté croissante qu’a l’État d’investir dans des infrastructures de soutien à l’activité minière.

L’annonce par l’entreprise publique des transports sud-africains, Transnet, qu’elle dépensera quelque 100 milliards de rands au cours des sept prochaines années afin d’améliorer le fret et les infrastructures portuaires –dans le cadre de son programme global d’investissements sur sept ans à hauteur de 300 milliards de rands– est un plus, mais, la même semaine, Statistics South Africa 3 a annoncé que la production minière mensuelle n’était pas tombée aussi bas depuis presque quatre ans.

En février la production a baissé de 14,5% par rapport à l’an passé, la plus forte baisse depuis mars 2008 où elle s’était affaissée de 16,8%. Du coup les investisseurs continuent d’éviter l’Afrique du Sud à une période où les puissances minières rivales poursuivent leur ascension.

Tout en déplorant l’état précaire des activités minières sud-africaines, on doit aussi se rappeler ce qui fonctionnait bien pendant l’âge d’or des mines en Afrique du Sud afin de montrer le niveau qu’on pourrait de nouveau atteindre.

Membre de la Commission nationale de Planification (NPC, National Planning Commission) et ancien P.-D.G. de AngloGold Ashanti, Bobby Godsell nous a donné le mois dernier un aperçu des anciens points forts de l’industrie minière sud-africaine –et aussi de ses terribles points faibles– lors des célébrations du 90e anniversaire de la fondation de l’université du Witwatersrand.

Il fut un temps, a-t-il rappelé, où l’Afrique du Sud jouait un rôle de leader dans la réflexion en matière de mines d’or et de diamants, et c’est également là que s’effectuaient pour la première fois les extractions minières les plus profondes, dans les filons les plus étroits et à travers les roches les plus dures.

Le pays a également joué un rôle de premier plan lors d’une succession de révolutions métallurgiques et d’avancées en géologie.

Le vice-président Kgalema Motlanthe –lui-même ancien mineur– a apporté une autre lueur d’espoir au cours des débats de la Commission présidentielle de coordination des infrastructures (PICC, Presidential Infrastructure Coordinating Commission) qui ont eu lieu la semaine dernière : la ceinture minérale du nord de l’Afrique du Sud a été déclarée prioritaire et incluse par la Commission dans ses 17 projets stratégiques intégrés.

Les débats de la PICC ont eu lieu la semaine même où Transnet a révélé son plan d’investissements sur sept ans à hauteur de 300 milliards de rands, plan qui prévoit notamment de désenclaver le bassin houiller du Waterberg, dans la province du Limpopo.

Au débit de l’activité minière reste le grand nombre de morts, qui continue de frapper l’Afrique du Sud, et aux yeux de Godsell, l’activité minière coûte si cher au pays en vies et en sang humains qu’un équivalent du Mémorial pour les victimes de la guerre du Vietnam à Washington, où le nom de chaque victime apparaît, devrait commémorer ces pertes.

La Commission d’enquête sur la Sécurité et la Santé dans l’industrie minière, présidée par le juge Ramon Leon, a rapporté en 1995 que quelque 69 000 personnes avaient trouvé la mort dans l’industrie minière en Afrique du Sud au XXe siècle, et 1 million été grièvement blessées, mutilées ou abîmées physiquement– des chiffres qui horrifient.

Bien que les P.-D.G. des compagnies minières sud-africaines aient décrété que 2013 serait l’année où la sécurité dans les mines d’Afrique du Sud rivaliserait avec les niveaux qu’elle atteint dans des pays industrialisés tels que le Canada, les États-Unis et l’Australie, le Dr Philip Frankel, auteur de Falling Ground, sur la sécurité dans les mines, s’est montré sceptique quant à cet objectif pour 2013 en matière de sécurité, sans parler des années suivantes.

Alors que le manque de sécurité continue de hanter l’industrie minière, il existe en régions de nombreux filons peu profonds, donc moins dangereux, qui pourraient créer de la richesse et des opportunités d’emploi dont des zones qui en ont bien besoin, mais ils ne sont pas exploités à cause d’un manque de confiance de la part des investisseurs, entretenu par un cadre législatif déficient.

Au même moment, le nationalisme en matière d’exploitation des ressources minérales gagne du terrain, pas seulement en Afrique du Sud mais, comme le note Leon, dans toute l’Afrique australe.

Si la réglementation visant à l’indigénisation au Zimbabwe a fait les gros titres, ce n’est pas le seul pays de la région à présenter de nouveaux modèles d’investissement.

Il y a aussi la Namibie, dont le ministre des Mines et de l’Énergie, Isak Katali, a l’intention de déclarer matériaux stratégiques le cuivre, le charbon, l’or, l’uranium et le zinc, qui feront alors l’objet d’une protection nationale renforcée.

Cela signifie qu’Epangelo, la compagnie minière nationale de Namibie, détiendra à l’avenir l’exclusivité des droits de prospection et d’extraction de ces minerais stratégiques et que des investisseurs désirant les acquérir devront s’associer avec la structure minière possédée par l’État.

Des accords sous forme de prêts gratuits pour les compagnies d’État pourraient bien prédominer à cause des hauts coûts d’investissement dans l’activité minière.

Rien qu’en 2009, l’industrie minière sud-africaine a dû investir 51 milliards de rands afin de maintenir les niveaux de production existants et d’anticiper dans ce domaine. La même année, le secteur a distribué 25 milliards de rands aux actionnaires.

Si le gouvernement sud-africain était devenu propriétaire des mines en 2009, c’est le Trésor sud-africain qui aurait eu à couvrir la différence entre l’investissement en capital et le flux de dividendes –soit 26 milliards de rands– avec l’argent du contribuable.

De plus, cette somme de 26 milliards correspond à l’hypothèse d’une nationalisation sans compensation. Si compensation il y avait, l’investissement serait bien supérieur.

Si Leon juge improbable une nationalisation complète de l’industrie minière sud-africaine, il estime probable un accroissement des activités de la compagnie d’État sud-africaine African Exploration Mining & Finance Corporation : c’est là une situation complexe où le secteur minier nationalisé, à la fois juge et partie, est en compétition avec le secteur privé, ce qui pourrait entraîner des prêts gratuits lors de la délivrance de permis.

Alors que le débat sur la nationalisation des mines en Afrique du Sud n’est pas encore tranché, le rapport du parti au pouvoir, l’ANC, sur une intervention étatique dans le secteur minier (SIMS, State intervention mining study), qu’on attendait depuis longtemps, a introduit un nouvel élément à prendre en compte par les investisseurs : l’impôt sur la rente relative aux ressources minérales, qui, selon les calculs de Michael Solomon, cadre chez J&J Group Mining, rendra l’industrie minière sud-africaine non compétitive.

Pour l’ex-P.-D.G. de Wesizwe Platinum, même si les 600 pages du SIMS de l’ANC contiennent beaucoup de choses positives concernant une participation constructive de l’État, l’impôt sur la rente relative aux ressources minérales, s’il est instauré, serait néfaste : de grosses sommes proviendraient des mines à bas coût d’exploitation et seulement très peu de celles à fort coût.

Une baisse du prix des matières premières comprimera la rente, et on risque de décider alors d’extraire du minerai de haute qualité et de ne plus exploiter celui qui est de qualité inférieure.

Comme l’Afrique du Sud possède déjà une industrie mature et exploite des mines très profondes, la capacité de production en sera réduite, ce qui abaissera la capacité d’absorption en termes d’emploi.

SIMS et la Ligue de la Jeunesse de l’ANC pensent que l’intervention de l’État créera plus d’emplois ; en fait c’est l’inverse qui se passera.

Comme le système perdra en efficacité et que la TC (teneur de coupure, cutoff grade) 4 du minerai augmentera, les mines fermeront plus rapidement, réduisant encore plus l’emploi, non seulement dans l’industrie minière mais aussi dans les secteurs secondaire et tertiaire –secteurs qui, dans le cas de l’Afrique du Sud, sont bien développés.

Tout ceci renforce la nécessité non seulement d’avoir un cadre législatif stable et une administration efficace –nous n’avons pour le moment ni l’un ni l’autre – mais aussi d’être compétitif, ce que l’impôt sur la rente relatives aux ressources minérales ne permettrait plus.

Si on considère que l’investissement moderne provient, pour la plupart, de fonds de pension ou de caisses de prévoyance, les décideurs seraient bien mal inspirés d’investir dans une Afrique du Sud dépourvue de cadre législatif et d’orientations politiques clairs, qui doivent être précis, et appliqués de manière cohérente, car l’activité minière comporte un niveau élevé de risques, ce qui requiert de gros investissements en capital à effectuer bien en amont de la production du moment.

Leon ajoute que les investisseurs redoutent toujours la corruption dans les pays en développement, surtout quand un cadre juridique incertain peut permettre à des opportunistes souhaitant s’enrichir rapidement de manipuler à leurs propres fins aussi bien le système juridique que ceux qui le contrôlent.

Leon a maintes fois répété que le MPRDA, la Charte minière (Mining Charter) et l’autonomisation économique des noirs comportent des dispositions ambiguës, ce qui a mené le Trésor à juger à la fois opaque et inefficace le cadre réglementaire et administratif relatif au secteur minier sud-africain.

Du fait de ces complexités, la prospection et la délivrance de licences d’exploitation prennent plus de temps ici que dans les pays concurrents.

Maintenant que les équivoques du MPRDA sont officiellement reconnues, Leon aimerait que ces vides juridiques soient comblés. Mais pour certains le long retard mis à les combler est délibéré et vise à permettre au congrès de l’ANC qui aura lieu cette année de s’occuper d’une réforme fondamentale du cadre réglementaire.

Ceci a incité Leon – qui a ouvert son article sur une citation attribuée à Zhou Enlai, Premier ministre de la Chine de 1949 à 1976, qui aurait dit qu’il était ‘trop tôt pour connaître’ l’impact historique la Révolution française de 1789 – à clore son article en citant Charles Dickens sur le même sujet :

‘C’était la meilleure des périodes, c’était la pire des périodes, c’était l’âge de raison, c’était l’âge bête, c’était une époque de croyance, c’était une époque d’incrédulité, c’était le siècle des Lumières, c’était le sombre Moyen Âge, c’était le printemps de l’espoir, c’était l’hiver du désespoir, l’avenir était à nous, c’était le vide devant nous, nous allions tous directement au paradis, nous allions tous dans l’autre direction’.

Il serait temps que le peuple sud-africain puisse profiter pleinement de ce que la nature lui a attribué comme ressources, ce qui demande un énorme investissement si on veut en tirer le parti qui convient.

*L’article de Leon a d’abord paru dans le Journal of Energy & Natural Resources Law, Vol 30 n°1, mars 2012, et est reproduit ici avec la permission de l’International Bar Association, Londres, Royaume-Uni. ©International Bar Association.

mining.weekly.com par : Martin Creamer

Rédacteur : Creamer Media Reporter

http://www.miningweekly.com/article/critical-time-for-south-africas-mining-industry-leon-2012-04-20-2

traduction : JP et Y Richard