Philidia d’André Brink (Harvil Secker, R215 non encore traduit en français)
La citation introductive de Antjie Krog 1 – Je suis/Dieu sait/une putain de femme libre – donne une idée de ce qui va venir dans ce roman touffu.
La version en afrikaans comporte le sous-titre Slaweroman, qui ne figure pas dans la traduction anglaise. Mais il s’agit d’un roman sur l’esclavage et aussi (c’est l’un des sujets favoris de Brink) sur les femmes exploitées et maltraitées par des hommes (blancs) sans cœur.
Lors d’une visite sur la ferme Solms Delta dans la vallée du Drakenstein, l’auteur découvre des informations à propos de Philidia, une esclave appartenant à un certain Cornelis Brink, un frère de son aïeul direct, ce qui a inspiré ce roman.
Une fois le décor campé pendant la période précédant directement l’abolition de l’esclavage (le 1er décembre 1834), le lecteur est plongé (parfois très longuement) dans les poignantes conditions d’existence des esclaves, les intrigues et autres secrets de famille, et les basses manœuvres qui semblent occuper en permanence les personnages.
Le récit démarre par une narration à la première personne au moment où, après une longue marche depuis Zandvliet, Philidia arrive au Drostdy de Stellenbosch pour déposer plainte auprès du Protecteur des esclaves contre son maître Cornelis Brink, et aussi contre le fils de ce dernier François Gerhardus. Le jeune Frans n’a pas tenu la promesse qu’il avait faite à Philidia de racheter sa liberté et celle de ses enfants.
« Ça va chier. Je le sens tout de suite » se dit-elle au moment où elle s’apprête à rencontrer le Grootbaas 2.
Dans une langue qui se rapproche malheureusement plus du pidgin de l’anglais que d’un patois local que Brink a essayé de recréer en version afrikaans, Philidia, la tricoteuse de la maisonnée, se rappelle ce qu’a été sa vie jusqu’à cet instant.
« Ce n’est pas une vie ce que j’avais à Zandvliet, avec les raclées et le tricotage et le travail jour et nuit et toujours à faire ce que les autres te disent de faire et tout le reste. Mais c’est tout ce que j’ai, c’est tout ce que je suis et tout ce que je pourrai jamais être. C’est toute ma chienne de vie. »
Dans sa déposition, Philidia prétend que le jeune Frans et elle ont ‘fabriqué’ quatre enfants, mais dans les archives officielles seuls trois enfants sont enregistrés.
Un autre fait a intrigué l’auteur : elle s’est peut-être ‘occupée’ du premier né afin de lui épargner une vie d’esclave.
Suivant les conseils de son père, Frans nie avoir eu des relations avec Philidia et sa parole l’emporte sur celle de l’esclave.
Le pére Cornelis veut que son fils épouse la riche Maria Berrangé d’Oranjezicht dans le Caab dont la dot pourrait sauver Zandvliet de la banqueroute ; Philidia et ses enfants blonds se trouvent alors personae non gratae sur la ferme.
Il est avéré que Philidia et ses deux enfants (un autre est mort de maladie) ont été vendus trois mois après le dépôt de cette plainte.
Ironie de l’histoire, Philidia est la progéniture d’un pasteur membre de la famille Berrangé qui n’avait pu retenir ses élans face à Farieda de Malabar. Philidia fut sauvée d’un destin macabre puis élevée par Ouma Nella de Bengal, qui se trouve être la mère de Cornelis Brink.
Voilà une bonne intrigue ponctuée de scènes de sexe et de cruauté détaillées et Brink est au meilleur de sa forme avec l’histoire d’amour entre Philidia et Frans comme thème central. Philidia possède aussi un chat, Kleinkat, qui est un personnage en lui-même, mais un personnage envers lequel l’affection de Philidia semble quelque peu exagérée s’agissant d’une mère qui lutte pour survivre avec deux petits enfants.
Dans la première partie, le récit (les chapitres sont munis d’en-têtes explicatifs dans le style du roman victorien) est à la première personne, avec les voix de Philidia, François, Ouman Cornelis et Ouma Nella. Par moments, la quantité de détails fait qu’on a le sentiment de parcourir laborieusement un mémoire de recherche, mais on reste pris par l’histoire.
Les métaphores filées les plus récurrentes (parfois surexploitées) sont celles du tricotage et des ombres. « Je suis un tricot que tricote quelqu’un d’autre » dit-elle au début. Vers la fin du livre, elle commence à tricoter avec des couleurs et trouve du plaisir à ‘détricoter’ des erreurs.
« Chaque maille est juste où elle doit être. » Ouma Nella explique à Philidia que son ombre est comme son histoire et que sa peur vient du fait qu’ « ils » veulent la séparer de son ombre.
La deuxième partie commence avec la vente aux enchères de Worcester (février 1833) ; le récit passe alors à la troisième personne.
Dans ses remerciements, Brink mentionne que jusqu’à l’épisode de la vente aux enchères il a essayé de s’en tenir strictement aux sources à disposition. Après cela il n’avait « pas d’autre choix que de compter sur son imagination », tout en s’appuyant sur des archives de l’époque au Cap.
Alors qu’elle appartient à Bernabé de la Bat, un nouveau propriétaire plus gentil, Philidia est convertie à l’islam par Labyn, le menuisier. Une fois affranchis, ils décident de se rendre au Gariep. Ils traversent le Bokkeveld en compagnie de Cupido Cockroach, qui figure dans Praying Mantis (2005, La mante religieuse).
« Par de nombreux aspects l’histoire de ce personnnage a ouvert la voie à ce livre » déclare Brink.
Un autre personnage déjà connu qui réapparaît ici est Galant, qui a mené le soulèvement d’esclaves en 1825 et figurait dans A Chain of Voices (1983, Un turbulent silence). (Brink s’auto-citant ?) De la Bat emmène Labyn et Philidia voir la tête de Galant toujours plantée sur un piquet à Houd-den-Bek où la révolte des esclaves avait éclaté, avant d’être écrasée.
Dans la dernière partie, la voix de Philidia reprend la narration. Voilà le chapitre « du dénouement et tout revient à sa juste place ».
Quand ils atteignent le Grand Gariep, elle dit à Labyn : « Je suis ici. Moi, Philidia du Caab. Ce Moi qui est libre. Ce Moi qui était esclave et qui maintenant est libre, qui est une femme, et qui est tout »
Brink se venge des personnes l’ayant critiqué après qu’il a remporté la substantielle bourse Jan Rabie-Marjorie Wallace pour sa proposition de Philidia.
D’une manière mesquine et franchement méchante, il fait régulièrement référence (dans le texte !) à la grosse truie Hamboud (Joan Hambridge) et à la poule Zelda (Jongbloed) qui caquette au sujet des œufs d’autres poules dans la basse-cour.
On se demande bien de qui d’autre il s’est vengé par le biais de ses caricatures stéréotypées (comme la marâtre obèse qui est constamment avachie, débordant du canapé). On est presque soulagé de voir que le vrai ogre dans l’histoire est un Brink.
Par Renee Rautenbach le 11 octobre 2012
Traduction : Jean Pierre Richard
http://www.iol.co.za/tonight/books/cape-s-slave-history-revisited-1.1400834#.UHaCbxhIx4s