Fév 122013
 

Jacob ZumaJacob Gedleyihlekisa Zuma a eu 70 ans en avril dernier. Enfant du Natal, son appartenance à l’ethnie zulu a dominé sa personnalité. Fils d’un policier et d’une domestique, il passe son enfance entre les fermes de sa région et la banlieue de Durban.

A 17 ans, garçon de course et analphabète, il rejoint l’ANC dans une période clé : l’interdiction du mouvement et la création de sa branche armée Umkhonto we Swize (MK). Comme dans toute sa vie militante, il y fera preuve d’un grand courage physique. En 1963, il est chargé d’organiser les réseaux clandestins de MK dans le Natal, il est arrêté dans la province voisine le Transvaal avec une vingtaine de recrues et condamné sous Terrorism Act à 10 ans de prison. La même année que Nelson Mandela et une dizaine de dirigeants de MK, arrêtés dans une ferme de la banlieue de Pretoria.

Le bagne de Robben Island, une île au large du Cap où se retrouve tous les prisonniers politiques, va devenir une école de la lutte pour tous ceux qui y ont été enfermés. Ils représenteront, d’ailleurs, au sein de l’ANC, un groupe particulier appelé « université de Robben Island » aux cotés des combattants de l’intérieur et des exilés. C’est dans cet environnement que Jacob Zuma va  apprendre à lire et à écrire sous la direction de Govan Mbeki, le père de celui qui deviendra son plus grand ennemi.

Trois époques décisives ses détachent dans la vie de Jacob Zuma :

  1. son activité en exil, qu’il va connaître dès sa sortie du bagne en 1973,
  2. son investissement, dans les années 90 dans la fin de la guerre que se livrent l’ANC et Inkhata Freedom Party (IFP) dans le Natal,
  3. ses démêlés judiciaires qui n’empêcheront pas son élection à la présidence de l’ANC, à Polokwane en 2007 puis son accession à la présidence du pays en 2009.

A sa sortie de prison, en 1973, il tente de réorganiser dans la clandestinité le mouvement dans le Natal, mais activement recherché, il est envoyé au Swaziland puis au Mozambique, devenu indépendant, où il organise les exilés des émeutes de Soweto de 1976. Il y gravit les échelons de la hiérarchie de l’ANC en exil, mais les accords de Nkomati, signés en 1984 entre Samora Machel et PW Botha le contraignent à quitter Maputo pour Lusaka où il participe à l’organisation de MK mais surtout prend la direction des renseignements du mouvement. A ce poste, aux cotés de Alfred Nzo et Joe Modise, aujourd’hui décédés après avoir été respectivement Foreign affairs et Defense ministers dans les gouvernements Mandela, il appliquera une règle d’airain contre les supposés agents doubles infiltrés dans les camps de l’ANC. Trois lieux de détention seront ouverts sous son autorité, en Angola, en Zambie et en Tanzanie, où a été pratiquée la torture et commis des exécutions sans jugement. La question a été sensible au retour des exilés, dont Jacob Zuma fut un des premiers à rentrer. Elle fut à nouveau abordée à la Truth and Réconciliation Commission (TRC). La mention dans le rapport final de ces « atrocités » commises dans ces camps ainsi que la condamnation de certaines actions  violentes commises par des militants de MK à l’intérieur des frontières durant la lutte entrainèrent le refus de Thabo Mbeki, fraichement élu président du pays, d’adouber le travail de la TRC. Mais ces engagements ont stigmatisé la violente réputation de Jacob Zuma.

Un trait que l’on retrouve dans la guerre fratricide que se livrent depuis la fin des années quatre vingt et début quatre vingt dix l’ANC et IFP dans le Natal. Le parti de Mangosuthu Buthelezi, fortement soutenu par le Parti National qui faisait miroiter au chef zulu une place dans une Afrique du sud déracialisée mais encore sous la coupe des Blancs, s’est livré à une véritable guerre civile violente et meurtrière dans le Natal. On évoque le chiffre de 16,000 morts pendant cette guerre, plus, affirme-t-on, que pendant les quarante années d’apartheid. Des chiffres invérifiables.

Jacob Zuma va jouer à cette occasion un rôle décisif en tant que membre de la direction de l’ANC. A quelques jours du scrutin d’avril 1994, la commission électorale déclare impossible la tenue du vote dans la région. Une réunion au sommet, tenue secrète, rassemblant Nelson Mandela, Frederick de Klerck, Cyril Ramaphosa, Desmond Tutu, le roi zulu Zweletini, Jacob Zuma et Mangosuthu Buthelezi se tient à Johannesburg. On ne connaît toujours pas le contenu précis des accords passés, mais en une demi journée les violences ont cessé et le scrutin historique d’avril 1994 a pu se dérouler dans le Natal. L’ANC, y arrive en seconde position, derrière IFP. Des rumeurs persistantes, à l’époque, affirmaient que le résultat du vote avait été un des enjeux du deal de Johannesburg. Cependant, tout le monde s’accorde à dire que l’accord seul ne pouvait suffire à mettre fin à cette guerre et encore aujourd’hui l’investissement de Jacob Zuma pour la paix est salué, v compris par ses détracteurs.

Pendant les trois années qui suivent l’accession au pouvoir de l’ANC il se concentre  essentiellement à la stabilisation de la situation politique et militaire au Natal. En revanche il devient de plus en plus incontournable dans les méandres de l’appareil de l’ANC. Porté par une alliance forte et historique avec le syndicat Cosatu et le Parti communiste (SACP) il gagne la vice présidence du mouvement lors de la conférence de Mafikeng, en 1997.

Le poste le rend incontournable pour la vice présidence du pays. En 1999, Thabo Mbeki est élu et propose la vice présidence à Mangosuthu Buthelezi, qui la refuse, il la donne à contre cœur et sous la pression de l’ANC à Jacob Zuma. Les deux hommes ne s’apprécient pas mais ce dernier apporte à un président perçu très fortement comme anti social le soutien de Cosatu et du SACP. Pendant la première partie de la présidence Mbeki il n’est pas au devant de la scène politique, occupée entièrement par Mbeki et à l’application de son plan Growth Employment And Redistribution (GEAR). Jacob Zuma se voit confier la médiation, aux cotés du président ougandais, dans le conflit burundais, qui oppose Hutus et Tutsis.

Alors que Mbeki, s’isole de plus en plus, en 2003, le procureur national Bulelani Ngcuka affirme avoir recueilli des éléments à charge contre Zuma dans une affaire de corruption à l’occasion d’un énorme contrat d’achat d’armes, signé par Mandela quelques semaines avant l’élection de Mbeki, en 1999. Les charges contre Zuma sont finalement abandonnées « au profit » de Toni Yengeni, chef du groupe ANC au parlement et secrétaire général du mouvement, fusible condamné et emprisonné.

Malgré le climat délétère qui règne dans les instances dirigeantes, Mbeki et Zuma sont réélus dans leur poste. Mais Mbeki n’a pas dit son dernier mot, en 2005, le conseiller financier de Zuma, Shabir Shaik, est traduit devant la justice dans l’affaire du Arm’s Deal. Un procès de 8 mois, au terme duquel il est reconnu coupable. On lui reproche entre autre d’avoir négocié auprès de la compagnie française Thomson CSF, devenue Thales, une rente annuelle pour Zuma de 500,000 rands. Dans la conclusion du procès, le juge qualifie de « globalement corrompue » la relation entre Shaik et Zuma. Le soir même, avant que toute poursuite soit envisagée ou annoncée, Mbeki limoge son vice président. La guerre est sur la place publique et les interventions policières sur le domicile de Zuma divisent gravement l’ANC.

C’est le début d’une série des démêlés judiciaires de Zuma. A la sortie du tribunal de  Durban, il se sent si fort de son soutien dans l’ANC qu’il n’hésite pas à comparer sa situation à celle qu’il connut du temps de l’apartheid. Il est finalement blanchi, mais en décembre 2007, alors qu’il vient de remporter son élection à la présidence du mouvement à Polokwane, il est de nouveau inculpé de fraude, blanchiment d’argent et évasion fiscale. Au moment de comparaître, Zwelinzima Vavi, Julius Malema, alors patron des jeunesses de l’ANC (ANCYL), Buti Manamela, secrétaire général des Jeunesses communistes et plusieurs vétérans de la lutte contre l’apartheid se déclarent « prêts à tuer pour lui et à mourir ».  En septembre 2008, le juge invalide toute la procédure pour « vice de forme ».

Toujours en 2005, une autre affaire très grave vient se grever à cette saga judiciaire, l’accusation de viol d’une jeune fille, dont il sera acquitté le 8 mai 2006 dans des conditions dont la probité est remise en cause aujourd’hui par certains de ses opposants. Des membres de Democratic Alliance, particulièrement.

Il tire magistralement partie de la situation et se fait élire président de l’ANC au congrès de Polokwane en décembre 2007, alors qu’il est certes acquitté des accusations de viol, mais pas encore de celles de corruption, de blanchiment d’argent et de fraude fiscale.  Polokwane a été qualifié du « pire des congrès de l’ANC », en attendant celui qui doit se tenir à Mangaung, mais où Zuma a fait preuve de son immense talent d’organisateur et de gestionnaire de crise. Il obtient après un travail en profondeur dans les provinces sa nomination par cinq d’entre elles : Kwazulu-Natal, Gauteng, Free State, Mpumalanga et Northern Cape, qui représentent 61% des voix des délégués contre 39% pour Mbeki présenté par les provinces du North West, Western and Eastern Cape and Limpopo. La conférence se déroule dans une permanente et incroyable démonstration de force du clan Zuma, qui comporte toute la jeunesse présente à la conférence et une partie de la direction conduite par Matthews Phosa. Il ne fut laissé à Thabo Mbeki et ses amis aucune possibilité de se faire entendre, leur voix fut littéralement écrasée par les chants de la lutte, dont bien sur Umshini Wami – passe moi la mitraillette et kill the boer, kill the farmer, pour ne citer que celles ci, qui ne sont pas les plus belles, mais qui eurent l’avantage de révulser Thabo Mbeki.

Suivent alors 18 mois de tensions extrêmes dans l’appareil d’Etat et d’inquiétude grandissante dans la société civile, qui aboutissent au renversement, présenté comme une démission (vertueuse) de Thabo Mbeki et l’élection de Jacob Zuma en avril 2009. Le mois de son soixante septième anniversaire.

Anne Dissez  Novembre 2012