La société paraétatique Areva a, semble-t-il, tenté d’acheter sa place en tête de liste pour la construction de centrales nucléaires en Afrique du Sud – un mauvais calcul.
Enquête menée par Lionel Faull, Sam Sole, Stefaans Brümmer et Selma Shipanga
Publié sur le site du Mail & Guardian le 12 Aout 2012
Le Mail & Guardian (M&G) est en mesure de révéler que l’un des favoris de la course à la construction de nouvelles centrales nucléaires en Afrique du Sud s’est adonné à une coûteuse campagne de séduction lors d’un précédent appel d’offres en 2008, Nuclear 1.
Alors que le gouvernement s’apprête à lancer un nouvel appel d’offres, notre enquête laisse supposer que le favori d’alors, qui est le même aujourd’hui –la compagnie paraétatique française Areva–, a tenté de manipuler le processus en achetant des faveurs politiques.
Le M&G a annoncé en février qu’Areva faisait équipe avec un partenaire chinois pour former un consortium qui soit perçu favorablement des politiques.
Le nouveau contrat, qui pourrait être soumis à appel d’offres plus tard dans l’année, vaudra jusqu’à 1000 milliards de rands (100 milliards d’€), un record absolu en Afrique du Sud.
Le rival d’Areva, la compagnie américaine Westinghouse, a laissé entendre cette semaine qu’elle reconsidérait également ses alliances stratégiques en lançant « un processus de consultation avec son personnel dans la perspective d’une éventuelle restructuration de ses opérations… en prévision de la construction de sites nucléaires nouveaux dans un proche avenir ».
Les efforts déployés par Areva pour caresser dans le sens du poil une élite politiquement bien introduite afin de remporter l’appel d’offres de 2008 ont finalement échoué, mais ils montrent jusqu’à quel niveau d’investissement les entreprises en lice sont prêtes à aller pour établir les bons contacts.
En 2008, la stratégie d’Areva incluait le rachat d’UraMin, une compagnie minière d’uranium politiquement bien introduite, dans le but de verrouiller l’accès du précieux métal au Karoo (centre de l’Afrique du sud), en Namibie et en République Centrafricaine.
Voilà plusieurs années que des rumeurs circulent, selon lesquelles l’entreprise française a payé trop cher son rachat d’UraMin afin de satisfaire les alliés de l’ex-président Thabo Mbeki, notamment parce qu’Areva pensait que cela l’aiderait à remporter l’énorme contrat nucléaire sud-africain.
Mais quand l’ANC a écarté Mbeki en septembre 2008, Eskom, la compagnie nationale d’électricité, a retiré l’appel d’offres Nuclear 1. Eskom a indiqué par la suite ne plus avoir les moyens financiers suffisants, mais le timing laisse à penser que ces événements étaient liés. L’hypothèse a été évoquée selon laquelle le camp de Jacob Zuma, en charge de la machine ANC depuis le congrès de Polokwane (décembre 2007), ne voulait pas que l’administration Mbeki dispense les faveurs liées à un aussi gros contrat.
Avec l’annulation de l’appel d’offres, Areva s’est retrouvée seule à supporter le coût de rachat d’UraMin, qu’elle a acquis lors du pic haussier du marché de l’uranium, au prix de $2,5 milliards. Quand la catastrophe nucléaire de Fukushima en mars 2011 a fait éclater la bulle de l’uranium, Areva a annoncé des pertes gigantesques, réévaluant à la baisse –pour plus de $2 milliards– les avoirs acquis via UraMin.
En France, cela a entraîné l’ouverture, au premier semestre de cette année, d’une enquête parlementaire sur la gestion du rachat d’UraMin par Areva, qui a mis au jour « des dysfonctionnements dans la gouvernance et les processus de décision au sein de l’entreprise », mais n’a pas livré de preuves formelles d’escroquerie.
Manoeuvres politiques
L’appel d’offres Nuclear 1 met en lumière les conséquences financières de ces énormes contrats fondés sur un échange clandestin de faveurs politiques et d’avantages commerciaux.
Le M&G a retrouvé la trace de plusieurs sources proches de la ruée vers l’uranium qui a précédé l’appel d’offres : ces sources nous fournissent un témoignage indirect mais révélateur sur les manoeuvres qui ont caractérisé le processus et fait grimper le prix d’achat d’UraMin à des niveaux astronomiques.
« Avions-nous la bénédiction discrète des politiques ? » s’est interrogé Rob Scott, ancien conseiller auprès du directeur général d’UraMin ; « le contraire me surprendrait. Certains [politiques] en ont-ils profité pour s’enrichir ? Pas que je sache. Est-ce que cela servait les objectifs de certains ? Absolument. Rappelez-vous que Mbeki voulait que l’Afrique du Sud devienne une puissance nucléaire. »
Un consultant auprès d’UraMin a dit que c’était du donnant-donnant assumé : « L’arrangement, c’était qu’Areva rachète UraMin et en échange Areva remporterait l’appel d’offres. Areva a payé trop cher UraMin – qui valait la moitié [des $2,5 milliards]. Mais ils allaient obtenir des contrats pour des réacteurs et une usine d’enrichissement d’uranium valant 10 fois plus. »
A la suite d’une enquête interne, Areva a reconnu elle-même avoir payé trop cher pour UraMin. Selon cette enquête, « le rachat d’UraMin pour $2,5 milliards a été effectué à un prix élevé avec un surcoût représentant environ un tiers de la valeur intrinsèque de ce que cet actif représentait pour Areva ».
Mais l’entreprise a-t-elle payé cette somme pour s’acheter des faveurs politiques ? C’est plus difficile à prouver, mais la chronologie d’une course à l’uranium couvrant l’Afrique du Sud, la Namibie et le République Centrafricaine tend à le montrer.
La première étape de ce processus, entre 2004 et 2006, a été l’acquisition spéculative de réserves d’uranium dans ces pays par la toute nouvelle compagnie UraMin, qui a recruté des personnages proches de décideurs politiques.
Au cours de la deuxième étape, entre 2006 et 2008, Areva a acheté UraMin, consolidant son consortium pour l’appel d’offres nucléaire en partie parce qu’elle pensait, à ce qui se dit, qu’en satisfaisant des personnes proches de décideurs politiques sud-africains, Areva verrait son offre considérée avec faveur.
Areva a indiqué au M&G qu’elle n’avait « aucune intention de rouvrir le débat sur cette question qui a suscité un vaste intérêt dans les médias au début de l’année 2012. La seule priorité de l’entreprise est son redressement. »
Selon le porte-parole de Mbeki, Mukoni Ratshitanga, ces allégations d’achat d’influence politique sont « absolument sans fondement », « possiblement diffamatoires » et « typiques du travail des agents de Stratcom du temps de l’apartheid, qui concoctaient des fausses accusations contre leurs opposants réels ou supposés dans un but délibérément malveillant. »
En Afrique du Sud
Matiki Chikala, un gros fumeur qui ne mâche pas ses mots, a fondé Mago Resources en 2003. Il dit avoir vu le potentiel de l’uranium au début des années 2000 et posé sa candidature auprès du ministère des Ressources minérales et de l’Energie de l’époque pour obtenir des droits de prospection non utilisés, en particulier dans le Karoo, qu’il espérait développer une fois qu’il aurait trouvé quelqu’un pour le financer.
En 2004, il a été mis en relation avec une compagnie, Beranjou, qui souhaitait financer les projets de Mago pour l’uranium.
Beranjou, qui deviendra plus tard UraMin, était une entreprise opaque domiciliée dans les Iles Vierges Britanniques représentée par un géologue australien, Adrian Lungan, et un homme d’affaires sud-africain, George Roach. Son assise financière était assurée par Stephen Dattels, un banquier canadien.
D’après le consultant auprès d’UraMin, l’entreprise a été initiée par des « cowboys » du monde des affaires, mais ils savaient qu’ils devaient atteindre une taille conséquente –au moins en apparence– pour inciter une compagnie minière bien établie à les racheter.
Sollicités pour des commentaires sur cette affaire, Lungan et Roach n’ont pas répondu à nos demandes. Dattels, par l’intermédiaire de ses avocats, a nié « tout prétendu manquement… ou tout manquement implicite… quant aux agissements d’UraMin » et il a indiqué que les questions de M&G étaient « bourrées d’inexactitudes ».
En mars 2005, Chikala a signé un accord avec Beranjou pour une entreprise commune (joint-venture) dans laquelle Mago possédait 26% et Beranjou (qui deviendra UraMin) 74%. La compagnie a engagé des conseillers afin d’accompagner leurs démarches de candidature auprès du ministère des Ressources minérales pour l’obtention d’au moins 70 droits de prospection en Afrique du Sud.
A en croire le consultant, qui a demandé à garder l’anonymat en raison de ses intérêts économiques, traiter avec le ministère était « un cauchemar ».
« La corruption était si répandue qu’on nous accordait des droits d’accès aux ressources minérales, mais quand on reprenait le dossier, ils avaient été adjugés à tel ou tel ami du pouvoir dans le but de nous faire chanter. »
Les minutes d’une réunion d’entreprise de novembre 2005 donnent un aperçu de la façon dont UraMin a tenté de contourner ses difficultés lors de ses demandes de permis. Dattels s’y plaint que « la non délivrance de licences » est « un problème » et qu’il a « besoin d’obtenir des réponses » parce que « l’instant est critique » et « qu’on doit agir vite ».
Sa solution était de « prendre conseil » auprès de l’influent homme d’affaires ghanéen Sir Sam Jonah en faisant de lui l’un des deux délégués autorisés à traiter avec le ministère. La veille de cette réunion, UraMin avait intégré Jonah, alors président d’AngloGold Ashanti, à son conseil d’administration.
L’autre personne nommée pour interagir avec le ministère était Mbulelo Rakwena, un diplomate sud-africain d’expérience, politiquement influent.
La nomination de Jonah se révèlerait être un choix inspiré. Le consultant a dit que Jonah et Mbeki étaient de « grands copains » et que, « sans Jonah, toute cette affaire [UraMin] n’aurait jamais abouti. »
Selon l’avocat de Jonah, « les demandes d’UraMin relatifs à la prospection en Afrique du Sud avaient déjà été déposées avant que notre client devienne administrateur d’UraMin et notre client n’a jamais parlé à M. Mbeki de ces sujets-là ».
Rakwena a nié « avec mépris toute insinuation d’actes répréhensibles de [s]a part », mais a refusé de répondre à des questions détaillées.
D’après Chikala et le consultant, c’est le sous-directeur général du ministère des Ressources minérales et de l’Energie, Jacinto Rocha, qui était le décideur clé au quotidien pour l’octroi des droits convoités par UraMin.
Ils ont aussi noté que la Vice-Présidente de Mbeki, Phumzile Mlambo-Ngcuka, avait une influence considérable en coulisses. Elle avait été ministre des Ressources minérales durant les 6 années précédentes et nombre de décideurs du ministère avaient été nommés par elle.
Le consultant nous a dit que, même après son départ, elle gardait tellement d’influence qu’elle était, de fait, « toujours la ministre ».
« Je ne dis pas que Rocha ait fait quoi que ce soit de répréhensible. Il a juste plié sous la pression venue d’en haut. C’était le type à qui tout le monde au-dessus de lui s’adressait pour s’assurer que tout se passait comme prévu. »
Rocha a indiqué qu’il avait été promu au poste de sous-directeur général peu de temps avant que Mlambo-Ngcuka s’en aille, mais elle « ne régnait pas depuis l’outre-tombe », a-t-il ajouté avec insistance et « les ministres n’ont pas de pouvoir de décision sur les droits de prospection des ressources minérales. »
Mlambo-Ngcuka s’est refusée à tout commentaire.
Contacts politiques
A la fin du premier semestre 2006, UraMin était devenue très vulnérable au risque politique. Dans une déclaration d’admission à la bourse en avril, la compagnie a noté que des demandes concurrentes avaient été déposées au ministère pour les mêmes droits de prospection en Afrique du Sud. A ce stade, UraMin n’avait obtenu que 3 des autorisations de prospection sur les 70 demandées.
« Il n’y a aucune assurance que le groupe se voie accorder des droits nouveaux… L’incapacité du groupe à se procurer des droits de prospection sur certaines propriétés en Afrique du Sud pourrait avoir un effet néfaste sur le développement de ses projets dans ce pays », est-il indiqué dans cette déclaration.
La joint-venture sud-africaine d’UraMin avait alors pour propriétaires UraMin Incorporated (74%) et Mago Resources (26%). Un mois plus tard, elle accueillait parmi ses actionnaires un groupe du Black Economic Empowerment (BEE, programme gouvernemental de promotion d’un capitalisme noir). En mai 2006, UraMin a écrit au ministère pour proposer qu’une nouvelle compagnie du BEE, Lukisa, se voie confier une partie des actions de Mago Resources.
UraMin n’a pas révélé l’identité des personnes impliquées dans Lukisa, ni dans son courrier au ministère, ni lorsque UraMin a annoncé le 6 juin 2006 que Lukisa avait acquis une participation de 8,75% dans l’actionnariat de la joint-venture UraMin-Mago-Lukisa.
Selon Chikala, UraMin avait acquis suffisamment d’actions de son entreprise pour en prendre le contrôle et a alors entrepris de l’évincer afin d’intégrer des acteurs politiquement mieux introduits.
Selon un registre des actions de l’entreprise, l’actionnaire majoritaire de Lukisa était Tefa Maloisane. Quatre sources distinctes ont confirmé que Maloisane était un proche du frère de Mlambo-Ngcuka, Bonga Mlambo.
Selon Chikala, c’est Dattels qui lui a présenté Maloisane et Mlambo comme de potentiels nouveaux actionnaires dans le cadre de la politique du BEE.
« Quand Maloisane m’a été présenté, il est venu accompagné de Mlambo. Et quand je me suis plaint, disant que je ne voulais pas de scandale avec le frère de la vice-présidente, ils ont mis Mlambo un peu en retrait. Puis ils ont eu des réunions entre eux en coulisses, mais Mlambo était là, pour sûr. »
Deux autres sources connaissant bien Lukisa ont confirmé que Maloisane et Mlambo étaient « proches » et que leur relation découlait du rôle que tenait Mlambo auprès de Maloisane, « une sorte d’oncle zoulou ».
Selon Rocha : « Les entreprises sont malines. Elles pensent en termes politiques à qui elles vont intégrer pour essayer d’influencer le décideur. On ne peut pas expulser le frère de la vice-présidente – ce serait discriminatoire. C’est aussi un Sud-Africain ‘historiquement défavorisé’ (selon la formule consacrée). Mais ce sont les entreprises qui choisissent d’intégrer des personnes politiquement bien introduites, et non pas les décideurs du ministère.
« Mon travail était simplement de prendre une décision qui soit conforme à la loi [sur le Développement des Ressources minérales et pétrolières] et c’est ce que j’ai fait sans peur ni favoritisme. »
Mlambo n’était pas disponible pour commenter le sujet.
« Je suis un businessman professionnel diplômé », a dit Maloisane ; « en aucun cas je ne me trouve là où je suis à cause de mes relations ». Pour toute autre question il nous a renvoyés vers Areva.
Selon Dattels, UraMin « oeuvrait sans relâche à faire que ses opérations en Afrique du Sud soient à tous égards conformes aux exigences du BEE » ; mais Dattels n’a pas souhaité répondre à des questions sur Maloisane, Mlambo et Mlambo-Ngcuka.
Il a démenti qu’UraMin ait écarté Chikala de manière abusive, indiquant que la compagnie avait racheté les parts de Chikala pour $51 millions en février 2007.
Selon le consultant, l’obtention laborieuse des permis en Afrique du Sud a poussé UraMin à chercher ailleurs des réserves d’uranium afin de gonfler ses avoirs.
Cependant, au moment de la vente de ses actifs à Areva en 2007, UraMin possédait les droits relatifs à environ la moitié de la surface du gisement d’uranium du Ryst Kuil Channel dans le Karoo et avait conclu un accord de principe avec une entreprise rivale pour une part de ce qui restait (Voir « Un autre deal à côté »).
En Namibie
En juin 2005 UraMin a acheté pour $4 millions l’entreprise détentrice des droits miniers pour la prometteuse mine de Trekkopje située dans le désert du Namib.
Alors qu’UraMin intégrait la bourse de Londres en avril 2006, l’entreprise s’est vue obligée de déclarer : « Les administrateurs pensent que la demande de renouvellement de la licence en cours a peu de chances d’aboutir et aucune assurance ne peut être donnée quant au succès d’une candidature nouvelle. Dans l’hypothèse d’un échec de ces deux demandes, le groupe ne posséderait aucun actif en Namibie. »
La compagnie avait besoin d’une assurance politique, comme cela avait été le cas en Afrique du Sud, et un rapport secret commandé par Areva en 2011 – suite à l’effondrement de la valeur des actifs d’UraMin – suggère qu’elle s’est achetée cette assurance.
Selon le rapport, établi par Alp Services, une firme privée suisse de renseignement, Hage Geingob, un dirigeant de la Swapo qui a été le premier Premier ministre namibien et l’homme pressenti pour être le prochain Président de la Namibie, « a reçu $300 000 pour avoir facilité la vente d’UraMin à Areva. »
Scott s’est rappelé avoir contacté Geingob pour lui donner un état de l’avancement des affaires d’UraMin en Namibie.
Réagissant au rapport d’Alp, Geingob a déclaré en février au journal namibien New Era que sa compagnie, HG Consulting, avait été employée par UraMin entre 2006 et 2007 et « rétribuée pour services rendus », à savoir « l’obtention par UraMin d’une licence d’exploitation minière ». Il a démenti avoir reçu quelque somme d’argent que ce soit pour avoir facilité la vente d’UraMin à Areva.
Dattels a dit la même chose, ajoutant que Geingob « en avait dûment informé le parlement namibien ».
Mais le rapport d’Alp allait plus loin et laissait entendre que Geingob avait « travaillé selon les desideratas » du trésorier en chef de l’ANC de l’époque, Mendi Msimang.
Si cela est avéré, la coopération transfrontalière entre dirigeants des deux partis de libération vient conforter les allégations quant aux soutiens dont UraMin a bénéficié au plus haut niveau à la fois au sein du gouvernement sud-africain et au sein de l’ANC.
Geingob a refusé de répondre à d’autres questions relatives à ses liens supposés avec Msimang.
« Je n’avais aucun désir particulier », a déclaré pour sa part Msimang, « et je n’étais aucunement au courant, ou partie prenante, d’une telle transaction. Je n’ai pas de relation personnelle avec Geingob en dehors du contexte des relations bilatérales entre l’ANC et la Swapo. »
En République Centrafricaine
UraMin a acquis son troisième actif principal dans le domaine de l’uranium, la mine centrafricaine de Bakouma, pour $27 millions en juin 2006 grâce à l’intervention directe de Mbeki, selon le consultant auprès d’UraMin.
Le rôle supposé de Mbeki comme facilitateur de l’affaire ne repose que sur des rumeurs, mais cela faisait presque un an que le Président François Bozizé combattait une incursion rebelle prolongée de la part des supporters de son rival Ange-Félix Patassé, qu’il avait banni, et il avait commencé à s’appuyer sur l’Afrique du Sud en guise de soutien.
En janvier 2006, les militaires sud-africains se sont rendus en République Centrafricaine pour une « mission d’enquête » et en avril Bozizé a effectué en Afrique du Sud une « visite de travail ».
Un communiqué du ministère sud-africain des Affaires étrangères a souligné les contacts de l’entourage de Bozizé avec « un large éventail de responsables sud-africains du monde des affaires et d’organisations sud-africaines ayant des intérêts » en République Centrafricaine, notamment dans le domaine des « mines et de l’exploration ».
Il est par conséquent possible qu’un Bozizé harcelé par la rébellion se soit employé à troquer une partie des précieux minerais de son pays, y compris de l’uranium, en échange d’une aide militaire sud-africaine, qui serait effective plus tard de cette année-là.
Une note diplomatique américaine de décembre 2006 concluait que l’intervention de l’Afrique du Sud avait pour but de « stabiliser » la République Centrafricaine, mais ajoutait que « les intérêts miniers, bien que ne constituant pas un facteur prépondérant, ont sans aucun doute joué un rôle dans la décision [prise par le gouvernement sud-africain] de s’impliquer ».
Selon diverses sources, l’homme clé poussant pour le deal centrafricain était Jonah, très influent au sein de l’élite ouest-africaine.
Selon Scott, « le carnet d’adresses de Jonah en Afrique est très fourni. »
« Je sais que Bozizé s’est rendu [en Afrique du Sud] deux ou trois fois parce que Sam a effectivement présenté des notes de frais » a déclaré Scott.
Scott se rappelle aussi d’un incident durant lequel des employés d’UraMin travaillant en République Centrafricaine avait été arrêtés sur la route entre Bakouma et Bangui, la capitale, et c’est Jonah qui avait négocié leur libération.
Jonah a indiqué au M&G qu’il n’avait pas régalé Bozizé en Afrique du Sud ni jamais parlé d’UraMin avec Mbeki.
Arrive Areva
Avec Bakouma dans la poche, UraMin possédait des actifs dans trois pays et se trouvait suffisamment consolidée par son bilan financier et ses relations politiques pour trouver un acheteur.
D’après le consultant, le « facilitateur clé » a été Jonah, membre du Conseil international pour l’investissement (ICC, InternationalInvestiment Council) créé par Mbeki – avec, soit dit en passant, la PDG. d’Areva, Anne Lauvergeon. Administrateur extérieur à UraMin, Jonah en a présidé le conseil d’administration pendant au moins 6 mois avant que l’entreprise soit rachetée par Areva.
D’après une lettre circulaire d’UraMin adressée aux actionnaires, le premier rapprochement expérimental entre UraMin et Areva date d’octobre 2006.
Le 31 juillet 2007, Areva a conclu un accord de $2,5 milliards pour UraMin, payant $7,85 par action – soit 21% au-dessus de la valeur du marché à l’époque.
Jonah en a été joliment récompensé : selon un document du conseil d’administration, il détenait 9 millions d’actions et en aurait donc tiré quelque $70,65 millions (soit 505 millions de rands, au taux de change de l’époque).
Sa compagnie, African Facilitation Services, a aussi perçu une commission de 0,4% sur le deal Areva, ce qui équivalait à $10 millions. De tous les administrateurs d’UraMin seul Dattels, son fondateur et vice-président exécutif, a gagné plus.
L’avocat de Jonah a confirmé que ces chiffres étaient « à peu près exacts », mais à l’en croire, « il n’y a pas de lien établi entre l’implication de mon client comme membre du Conseil international pour l’investissement de Mbeki et les événements ultérieurs. »
« Areva n’était pas la seule entreprise à s’intéresser à UraMin. Toutes les négociations avec des acheteurs potentiels ont été menées pour le compte d’UraMin par une banque canadienne d’investissement de bonne réputation, BMO, et les conseillers d’Areva s’appelaient Rothschild. »
Dattels n’a pas répondu aux questions concernant le rôle de Jonah dans les négociations avec Areva, sauf pour confirmer qu’il était bien à l’époque administrateur extérieur d’UraMin, dont il présidait le conseil d’administration.
Scott a dit la même chose que Jonah, disant que UraMin « avait joué intelligemment le jeu du commerce ».
« Nous avons veillé à ce qu’on sache que nous nous rencontrions les uns les autres. Les prix étaient élevés, il y avait pénurie au niveau de l’offre et une demande énorme. Les gens étaient prêts à tout pour avoir de l’uranium. Est-ce que les Français ont payé une coquette somme ? Absolument. »
Scott a ajouté que le lien entre Jonah et Lauvergeon, par le biais du Conseil international pour l’investissement de Mbeki, n’avait pas été prévu et « n’avait peut-être été qu’un coup de chance ».
A l’époque Areva pensait aussi, de son côté, avoir décroché un très bon accord : des réserves d’uranium dans trois pays africains et, dans sa manche, une entreprise politiquement bien introduite afin de pousser sa candidature à l’appel d’offres sud-africain dans le domaine du nucléaire.
Le coup suivant d’Areva
L’homme de paille de Lukisa, Maloisane, a été nommé en juillet 2008 directeur d’Areva pour l’Afrique du Sud – au moment où Eskom étudiait les offres à la fois d’Areva et de Westinghouse.
A en croire Chikala, les décideurs politiques allaient forcément s’apercevoir qu’une compagnie liée au frère de la vice-présidente faisait partie du consortium d’Areva pour l’appel d’offres.
Sur le long terme, le congrès de l’ANC à Polokwane s’est avérée être une défaite monumentale non seulement pour Mbeki et ses alliés politiques, mais aussi pour Areva. La semaine même où l’ANC a écarté Mbeki, la direction d’Eskom suspendait l’annonce des résultats de l’appel d’offres et deux mois plus tard ce dernier était officiellement retiré.
Areva devra reconstruire ses alliances et attendre que l’appel d’offres soit de nouveau lancé. Et il est probable que l’entreprise veuille récupérer une partie des ses mauvais investissements (Voir « Un autre deal à côté »).
Pendant ce temps, le prochain congrès de l’ANC, à Mangaung, se profile, avec en perspective un impact tout aussi décisif sur tel ou tel méga-contrat adossé au monde politique. La question est de savoir qui supportera cette fois le coût de ce genre de manoeuvres politiques ?
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Un autre deal à côté
Peu de temps avant d’être vendue à Areva, UraMin a donné son accord pour l’acquisition d’une autre compagnie ayant participé à la ruée sur les droits d’accès à l’uranium du Karoo près de la ville de Beaufort West.
Il existe des parallèles entre le rachat par Areva de Great Karoo Metals et son rachat d’UraMin qui laissent à penser que la compagnie française attendait la même chose des deux : la complaisance de personnes proches du Président d’alors, Thabo Mbeki, dans l’espoir d’un examen favorable de la proposition d’Areva après l’appel d’offres dans le domaine nucléaire.
James Ngculu, qui était alors le chef de l’ANC pour la province du Cap occidental, détenait 6% des actions de Great Karoo et a brièvement présidé la firme de placements privée qui en détenait 35,75%.
Entre novembre 2004 et mai 2005, Great Karoo a investi 40 millions de rands dans l’achat et le développement de droits d’accès à l’uranium. En août 2007 Areva a acheté Great Karoo pour $50 millions, soit dix fois l’investissement initial de Great Karoo.
Les médias ont relaté que Ngculu avait été un soutien clé et un bienfaiteur lors de la campagne de Mbeki antérieure au congrès de l’ANC à Polokwane en décembre 2007. Dans les semaines ayant précédé ce congrès, le Sunday Times a cité des propos de Ngculu selon lesquels il défendrait Mbeki « de toute [s]on âme » et le Mail & Guardian a rapporté que des partisans du camp de Jacob Zuma avaient remarqué qu’au fil de la campagne Ngculu avait puisé « dans ses poches particulièrement bien remplies ».
En réponse aux questions du M&G, Ngculu a dit que c’était « offensant » et « dénué de toute vérité » de prétendre qu’il avait soutenu Mbeki pour des intérêts liés à tel ou tel camp. « J’ai toujours été un ardent défenseur de la cause de l’ANC et jamais un ‘lobbyiste’ ou un ‘soutien explicite’, comme vous l’insinuez, sauf pour soutenir Mbeki en qualité de président élu de l’ANC ». Il a ajouté que ses supposés liens financiers ou autres avec la campagne pro-Mbeki avant le congrès de Polokwane étaient « des rumeurs colportées par les ‘sources anonymes’ dont est si friand votre journal », mais il n’a pas réfuté la citation que le Sunday Times lui avait attribuée.
En ce qui concerne le deal sur l’uranium, Ngculu a déclaré que cela s’était passé « entièrement au niveau commercial ». Selon lui, UraMin a convaincu Areva que la compagnie française avait l’obligation morale de signer le contrat de principe que Great Karoo avait négocié avec UraMin.
Selon Ngculu, UraMin avait proposé à Great Karoo un accord mixte ‘cash et actions’ d’une valeur « comprise entre $43,5 millions et $47,5 millions », alors qu’Areva – ayant racheté UraMin – n’était pas intéressé par des actions et avait donc « insisté pour que la transaction se fasse en cash ».
« Etant donné que le prix de l’action UraMin avait augmenté [d’environ 50%] depuis la transaction initiale entre Great Karoo et UraMin, les deux parties sont tombées d’accord sur un prix final de $50 millions. »
« En fin de compte le prix a été fixé en fonction de la valeur marchande, à cette époque, des firmes liées à l’exploration de l’uranium et à sa production », a indiqué Ngculu.
Malgré des demandes adressées à la fois à Ngculu et à Tefo Maloisane (en tant que représentant d’Areva), le M&G n’a pu accéder aux archives complètes relatives à l’actionnariat de Great Karoo.
Julian Williams, l’associé de Ngqulu, co-fondateur avec lui de la firme de placements privée Basileus –qui détenait 35,75% de Great Karoo – a été abattu dans son bureau du Cap la semaine dernière lors d’une altercation avec un investisseur. Il semblerait que la dispute ait tourné autour du transfert de fonds dans une autre compagnie où Basileus avait des parts, Avalloy. Une compagnie qui a bénéficié de la part de l’administration Mbeki de compensations financières liées au Arm’s Deal (fabuleux contrat d’armes signé en 1999 par Mbeki et qui a donné lieu à une immense corruption), pour l’obtention de contrats en faveur du fabricant britannique de moteurs pour l’aéronautique, Rolls-Royce.
A lire :
Dans le Mail & Guardian
- SA called for France-China nuclear bid (L’Afrique du Sud a appelé à une offre fanco-chinoise pour la construction des centrales nucléaires)
- Battle for South Africa’s R1-trillion nuclear contract (La bataille pour le contrat nucléaire sud-africain de 1000 milliards de rands)
Autres Articles
- Areva bids to build nuclear plants in South Africa (Areva candidate à la construction de centrales nucléaires en Afrique du Sud)
Tuareg rebels threaten Areva’s uranium mines (Les rebelles touaregs menacent les mines d’uranium d’Areva)
Publié en France
- Raphael Granvaud, Areva en Afrique, une face cachée du nucléaire français, éditions Agone.
Source : http://mg.co.za/article/2012-08-03-00-nuclear-frontrunner-arevas-toxic-political-dealings