La politique des terres dans cinq pays d’Afrique australe, Afrique du sud, Zimbabwe, Namibie, Mozambique et Botswana, a été marquée, au moment des accords d’indépendance par un consensus dans chacun de ces pays entre les colonisateurs et les dirigeants nationalistes. Dans la plupart d’entre eux, Namibie, Botswana et même Mozambique, malgré la guerre civile où la propriété de la terre n’a pas été un enjeu, ce consensus a évolué de manière pacifique. C’est ainsi que l’on analysera le processus en cours en Afrique du sud. Quant au Zimbabwe, les accords de Lancaster tenaient compte dans sa juste mesure de l’importance du secteur agricole dans l’économie du pays. Le dérapage dramatique dès la fin des années quatre vingt dix s’attribue à deux facteurs, la rupture du respect des accords par la Grande Bretagne, sous couvert de lutte contre la corruption du régime de Robert Mugabe et par les difficultés politique et économique que connait à cette période le charismatique président zimbabwéen, qui explique le lancement d’une réforme à la serpe dont le caractère anachronique ne pouvait connaitre que les dérives qui l’ont marqués.
Par Anne DISSEZ, Journaliste spécialisée sur l’Afrique australe
1. Incertitudes sud africaines
La réforme des terres sud africaines a connu plusieurs processus, homogène dans le discours, « rendre 30% des terres à ceux qui en ont été spoliés par le colonialisme et la politique de séparation des races », hétérogènes dans l’application d’une telle promesse. Il faut reconnaître qu’elle débordait largement du cadre électoral pour tenir, dès son lancement, une place idéologique décisive.
C’est de cette manière qu’il faut comprendre l’importance des propos de Jacob Zuma, en août dernier, qui a osé remettre en cause le principe de base de la réforme, « willing buyer, willing seller », qui exclut toute contrainte dans la vente et l’achat de terres. « Nous constatons que le principe ne marche pas, a déclaré le président sud africain, nous devons trouver une formule plus pragmatique ». Moins couteuse pour l’Etat, qui subventionne largement les opérations de rachat, le principe étant que les négociations sont menées par des représentants du ministère des affaires agricoles, qui transfère tout ou partie la propriété des terres à des fermiers noirs, à certaines conditions financières. Jacob Zuma a insisté, lors de cette déclaration, sur la préservation de l’esprit de réconciliation.
Malgré toutes les précautions oratoires, cette déclaration a créé une atmosphère d’inquiétude aussi bien chez les propriétaires terriens blancs, qui ont jusque là accepté la réconciliation à la condition que leurs privilèges soient maintenus et les fermiers noirs, qui redoutent un désengagement financier de l’Etat dans le programme de redistribution. Une inquiétude partagée, dans une moindre mesure, par la communauté internationale, qui a soutenu la réforme des terres telle qu’elle a été définie sous la présidence de Nelson Mandela, puis s’est bien accommodée du désintérêt que lui a porté Thabo Mbeki.
C’est au mois de novembre que la sonnette d’alarme a été tirée. Le gouvernement a, tout d’abord reporté la date de clôture de la réforme de 2014 à 2025, arguant de difficultés financières réelles, voire des conséquences sur le secteur, de la crise économique mondiale.
Il était prévisible que l’arrivée de Jacob Zuma au pouvoir allait changer la donne. Il lui était difficile d’ignorer que quinze ans après la fin de l’apartheid, 5% seulement des terres ont été redistribuées à des fermiers noirs, ce qui représente 5.5 millions d’hectares sur un total identifié de 24.4 millions. Il ne pouvait pas, comme son prédécesseur, rester sans réagir, alors que la débâcle financière qui entoure le déroulement de la réforme fait planer le risque d’un échec et de ses conséquences.
Le gouvernement se trouve face aujourd’hui à une double demande, celle des fermiers noirs qui redoutent le désinvestissement de l’Etat et le changement de nature de la réforme phare de la fin de l’apartheid. Celle des propriétaires terriens blancs qui ne veulent céder leur terre qu’au prix du marché.
Pour l’instant, le gouvernement n’a eu qu’une seule réponse, passer des accords avec plusieurs pays d’Afrique pour l’implantation de fermes à haut rendement, dirigées par ses fermiers blancs volontaires. Il est trop tôt pour en tirer le bilan, Nelson Mandela, au cours de sa présidence, avait eu la même idée, mais le résultat, dans un contexte de plus forte tension que celui d’aujourd’hui, n’avait pas été probant. Cependant, Jacob Zuma ne pourra pas faire l’économie d’une refonte sérieuse du projet de réforme agraire, qui fasse la part entre le privé et le public, entre l’entreprise de production à haut rendement et la ferme de subsistance locale. Une refonte du projet qui donne des habits neufs au débat idéologique
2. Le poids de la crise agricole zimbabwéenne.
La situation s’est beaucoup tendue dans certaines fermes au Zimbabwe. L’agression, dont fut victime, en septembre dernier, un fermier blanc, Ben Freeth, qui avait été réinstallé dans ses droits de propriétaire par un tribunal administratif de la SADC, puis qui avait du assister impuissant à l’incendie de sa ferme est une des plus significative. Le petit fils de ce fermier, citoyen britannique a même fait appel aux autorités américaines pour qu’elles interfèrent pour soutenir son aïeul dans la récupération de sa propriété, associant son sort à celui de Morgan Tzvangiraï et de la situation de son parti dans le gouvernement de coalition.
Cette affaire et d’autres similaires font pas mal de bruit dans la presse régionale, elles interviennent au moment de l’échec d’un audit foncier visant à déterminer à qui appartient quoi, après 10 ans de chaos dans le transfert des terres, qui ont plongé le pays dans la violence, le déclin économique et les pénuries alimentaires. Cet audit avait été décidé, en septembre dernier, dans le cadre de l’accord politique qui avait fondé l’existence du gouvernement de coalition. Il devait être conduit par l’administration du Zanu-pf, mais au terme des cent jours, prévus pour l’élaboration de cet audit, l’agression de Ben Freeth et la dégradation de la situation dans les quelques fermes où ont pu rester les anciens propriétaires, qui ont accepté de n’en être plus que les gestionnaires, en montre la limite.
3. Absence de politique agricole au Mozambique
Au Mozambique, la situation a souffert de 13 ans de guerre civile. Mais même dans cette période troublée, la question de la nationalisation des terres, aujourd’hui encore contenue dans la Constitution, n’a pas été remise en question. C’est donc le gouvernement qui décide l’attribution de baux de cinquante ans. C’est ce qui s’est passé lorsque des fermiers dont les terres avaient été saisies au Zimbabwe sont venus s’installer dans plusieurs parties du pays. C’est ce qui se passe encore dans le cadre des accords passés lorsque les syndicats de fermiers blancs sud africains aux coté du gouvernement Zuma sont venus, dernièrement, négocier l’exploitation de terres. De plus, il suffit à une famille de prouver qu’elle occupe et cultive un terrain depuis un certain nombre d’années, pour qu’elle bénéficie d’une protection juridique en cas de contestation.
Le problème du Mozambique n’est pas, comme au Zimbabwe ou en Afrique du sud la conséquence d’une exclusion raciale, mais plutôt de l’inexistence d’une politique agricole et des moyens pour la mettre en œuvre. On estime que 38% des terres sont arables, mais seulement 18% de ces surfaces sont cultivées, par manque de moyens. C’est ce qui explique la grande pauvreté dans laquelle vit la majorité de la population rurale.
Le nouveau gouvernement est resté discret dans la campagne électorale sur le statut des terres, mais des mesures de libéralisation pourraient être prises, notamment sous la pression de compagnies de l’industrie d’agro carburant qui tentent de s’installer sur les grandes terres vierges et riches du nord du pays
4. Conclusion
Les pays limitrophes ont payé leur tribut à la crise agricole zimbabwéenne, en termes de migration, de soutien alimentaire et diplomatique. La Namibie, et le Botswana connaissent des situations plus apaisées, en tous cas plus calmes. En Namibie, le débat a été vif entre les représentants du gouvernement de Swapo avec ceux des propriétaires terriens, mais, comme au Botswana, l’étendue du pays et la part importante des régions désertiques a permis de limiter le débat à une rationalité plus économique qu’idéologique. La répartition des terres s’est confondue avec la répartition des richesses économiques, dans un cadre très libéral. Aux Blancs et aux compagnies de tourisme l’exploitation des richesses environnementales et touristiques, telles que celles du delta de l’Okavango, dont les multiples bras du troisième plus grand fleuve d’Afrique ne font que se contorsionner sans jamais atteindre la mer et celles des dunes immenses du désert du Kalahari. Aux autochtones l’élevage de bétails dans l’immensité de zones désertiques beaucoup moins touristiques. AD