Le massacre de Marikana a provoqué un choc indescriptible dans la société sud africaine. En témoigne la couverture médiatique. Les images diffusées ont beaucoup rappelé le temps de l’apartheid, les corps jonchés sur le sol aux pieds de policiers armés. Mais c’est dans l’ANC que les événements ont fait le plus parler. Du moins ce sont les prises de position des dirigeants du parti au pouvoir que les media ont le plus répercutés. Les accusations en forme d’autocritiques ont fusé au cours de la session parlementaire consacrée au massacre. Après une charge de l’opposition à laquelle les députés ont du faire face, certains d’entre eux se sont livrés à une sorte d’autocritique-règlement de compte.
Ouvrant le débat, le ministre de la police, Nathi Mthwethwa a affirmé que ses hommes n’avaient pas eu d’autres options que de tirer, ce qu’ils ont fait sans ordre, une manière de répondre à la question : qui a tiré le premier ? L’intervention du ministre montre que pour son gouvernement la réponse ne fait pas de doute, alors que le président Zuma vient de nommer une commission d’enquête qui doit justement définir les responsabilités de la police ou des mineurs.
Malusi Gicaba, ministre des entreprises publiques a dénoncé la distance entre l’ANC et plus généralement les dirigeants et les communautés dont ils ont la responsabilité. “La corruption généralisée au niveau local, l’incompétence et l’échec des directions dans la gestion de la situation à travers les structures administratives locales et à tous les autres niveaux, tous ces éléments ont contribués au sentiment d’abandon ressentis par les communautés » a-t-il déclaré au parlement.
La ministre des ressources minérales, Suzan Shabandu, sur la défensive, a sommé le patronat du secteur minier de redoubler d’efforts pour assurer une meilleure intégration sociale des mineurs et une amélioration des conditions de travail. Elle les a mis en garde, ainsi que l’opposition, « de se servir de la tragédie de Lomnin pour effacer celles du passé ». Elle a dénoncé comme beaucoup d’autres les tirs à armes réelles, alors qu’en 2008, alors vice ministre de la sécurité, elle avait déclaré aux policiers « shoot to kill ». Une déclaration qui avait fait à l’époque beaucoup de vagues.
Réponses à la crise
Elles sont institutionnelles. Une commission d’enquête composée de 10 ministres a été nommée. Conduite par Collins Chabane, ministre de la présidence et ancienne figure historique du SACP, les autres membres sont le Premier ministre de la province du Nord Ouest Thandi Modise et le ministre des Ressources minrales Susan Shabangu, le chef de la police Nathi Mthethwa, le ministre du développement social Bathabile Dlamini, de la gouvernance coopérative Richard Baloyi, du travail Mildred Oliphant, de la défense et des anciens combattants Nosiviwe Mapisa-Nqakula, de la santé Aaron Motsoaledi, de la sécurité de l’Etat Siyabonga Cwele, de l’intérieur Nkosazana Dlamini-Zuma, qui devrait quitter son poste après sa nomination à la présidence de la commission de l’Union africaine.
Une commission judiciaire, dont l’opposition et Julius Malema exigent qu’elle soit particulièrement indépendante, ce qui devrait être le cas, le passé récent de la justice sud africaine en donne une garantie, même partielle, tant ses membres les plus éminents sont soucieux de leur indépendance.
La ministre Suzan Shabangu a multiplié les appels aux dirigeants de Lonmin pour une plus grande tolérance vis à vis des grévistes, notamment en terme de licenciement. Elle n’a pas caché sa crainte qu’une position trop rigide déclenche de nouvelles violences, à Marikana et dans les mines alentour où la revendication de Association of Mineworkers Construction Union (AMCU), un salaire pour les rocks drill operators de 12,500 rands alors qu’il est aujourd’hui de 4,000 rands, a déjà surgi.
Enfin, la Chambre des mines devrait recevoir très officiellement les deux syndicats impliqués dans le mouvement le NUM et AMCU, alors que la reconnaissance de ce dernier est loin d’être acquise dans toutes les grandes entreprises du secteur.
Questions sur BEE et ses dirigeants
Deux attaques virulentes et très orientées politiquement ont été lancées contre les dirigeants des entreprises du BEE. L’une par Gwede Mantashe, secrétaire général de l’ANC, dirigeant également de SACP, qui a leur a reproché de donner la priorité aux intérêts des actionnaires au détriment de la nécessaire transformation du monde des affaires. Ce qui était le mandat que la « nouvelle Afrique du sud » leur avait donné. Gwende Matashe est un des plus ardents défenseurs de la candidature de Jacob Zuma à Mangaung.
L’autre attaque, plus attendue, est venue de Julius Malema qui s’est posé comme jamais jusque là en dirigeant politique alternatif et non plus en aiguillon. Il a demandé la démission de Jacob Zuma, il a de nouveau appelé à la nationalisation des mines, il a mis en avant sa jeunesse et sa radicalité, il s’est comporté en dirigeant populiste, mais en dirigeant. Ce que n’ont pas fait les dirigeants de l’ANC en général pas plus que les personnalités de l’opposition interne, qui , à l’instar de leur attitude en juin lors de ANC Policy Conference, semble réserver ses forces et ses arguments pour la conférence de Mangaung.
Malema s’en est pris particulièrement à Cyril Ramaphosa et à son statut de leader respecté. Il est vrai qu’il porte une double casquette de vice-ministre du plan aux cotés de Trevor Manuel et d’être un des directeurs sud africain de la compagnie Lonmin. Ramaphosa n’a pas attendu les attaques contre ses fonctions, il a, dès le lendemain des massacres, proposé à Lonmin une association pour soutenir les grévistes et financer les funérailles. Ce qui a provoqué chez Malema une réponse cinglante. « Lonmin bénéficie de très fortes connections. C’est cela qui explique le meurtre des ouvriers. Ils ont été tués pour protéger les actionbs de Cyril Ramaphosa. »
L’autre institution du BEE mise en cause est le Royal Bafokeng Platinium, dont les rocks driller d’une mine, proche de Marikana, ont menacé d’une grève si la revendication de 12,500 rands de salaires n’était pas attribuée.
Bafokeng est un royaume proche du Botswana dont la famille royale, Molotlegi, a revendiqué avant la fin de l’apartheid et de son exil le profit de l’exploitation des terres ancestrales riches en platine. Après de longues négociations et une passionnante bataille juridique avec les patrons des sociétés minières, avec les anciens et les nouveaux dirigeants de l’Afrique du sud, ils ont obtenu d’être représentés dans les boards des plus grandes compagnies. Formés en Grande Bretagne et aux Etats Unis, les membres et les équipes représentant la famille royale s’y comportent en véritables hommes d’affaires et en politiques avertis en instaurant dans leur royaume, situé dans la province minière du North West, une exemplaire redistribution. Ce qui provoque méfiance et grincements de dents parmi les dirigeants de l’ANC, cependant personne ne se risque à des critiques publiques. Dans un long interview au Business Day, Steve Phiri, CEO de Royal Bafokeng Platinium s’est montré ouvert à toute négociations avec NUM et AMCU, qu’ils ont déjà reconnu, auxquels s’est joint un syndicat de jeune travailleurs Uwasa, pour des amélioration des conditions de vie des mineurs et un partage des richesses de la compagnie.
A qui profite le crime ?
Il est trop tôt pour le dire, cependant, Cosatu sera le premier membre de l’alliance gouvernementale à en subir les effets. Avant la tragédie de Marikana le syndicat était déjà sous la pression de la course à la succession de Jacob Zuma à la présidence de l’ANC. Cela s’est traduit par les attaques contre Zwelinzima Vavi et son maintien au poste de secrétaire général, justifiées par son refus de prendre position vis à vis de la réélection Zuma. Silence vécu, à jute titre semble-t-il, comme une défiance par les partisans du président sortant. Ses interventions durant la crise de Marikana ont été discrètes sur le comportement de NUM, qui sera son principal opposant dans la conférence élective du syndicat dans 3 semaines, plus ouvertes sur la dénonciation de la pauvreté, plus explicites sur les responsabilités, ont fait l’objet de critiques dans l’appareil syndical. La bataille pour le maintien dans son poste devrait partager l’organisation. Une demi victoire rendrait difficile la gestion de COSATU et pratiquement impossible la conduite du débat récurrent de la participation du syndicat à l’alliance gouvernementale.
Il est remarquable qu’au cours de cette crise l’opposition interne à l’ANC n’est pas apparue. On n’a pas vu ni entendu les Matthews Phosa, les Tokyo Sexwale qui ont adoptés un profil bas. Seul Joel Netshitenshe, dont l’avenir présidentiel semblait tracé sous la présidence Mbeki, qui a été néanmoins maintenu dans un poste du national Executive Committee, est intervenu sur les conséquences dramatiques de l’événement. Il a longuement défendu l’idée et défini le contenu de la commission d’enquête judiciaire, « la tuerie de Lonmin symbolise la crise » a-t-il déclaré, ajoutant « pour un système démocratique, être confronté à ce type de crise met en cause sa légitimité si nous ne sommes pas capable de l’étouffer dans l’œuf ».
Quant à l’opposition Democratic Alliance, en dehors de ses interventions au parlement et dans les institutions elle ne s’est pas confrontée dans un débat avec l’ANC. Comme si elle ne voulait pas compromettre ses chances de prendre l’avantage sur le parti au pouvoir.
Finalement, c’est Julius Malema qui a trouvé sous ses pas une voie royale, qu’il a empruntée avec délectation. Sans que l’on sache encore vraiment vers quoi elle le mènera.