Embarras, c’est le mot qui résume l’attitude de la classe politique sud africaine face à l’explosion de violence sur le site minier de Marikana. Il a fallu plusieurs jours à Jacob Zuma pour visiter les victimes à l’hôpital, celles tombées sous les balles de la police le 16 aout, les autres, victimes des affrontements intersyndicaux n’existent pratiquement pas dans le discours des politiques et des media. Depuis dimanche la présidence multiple les propositions, une commission d’enquête formée par une dizaine de ministre, une commission judiciaire indépendante et plusieurs interventions auprès de la direction de Lonmin pour reculer le délai de reprise du travail et assouplir les menaces de licenciements. Cyril Ramaphosa, vice ministre du plan, icône du Black Economic Empowerment et membre historique très respecté de l’ANC annonce sa participation dans le financement des funérailles, Il est également un des directeurs sud africains du groupe Lonmin. Une succession de décisions qui tente de répondre au choc que ces événements ont produit dans la société.
Samedi, dans une réunion marathon, la ministre des ressources minérales, Susan Shabangu, a eu beaucoup de mal à trouver un accord sur la composition de la commission d’enquête. On ne la connaît pas dans le détail, mais finalement, la Chambre des mines, le gouvernement et les représentant syndicaux y participeront en tant que tels avec pour but de tenter de désamorcer la crise ponctuelle de Marinaka et, au delà, de tracer les contours d’une négociation pour une sortie de crise du secteur du platine. Une grève « illégale », comme celle de Marikana, avait eu lieu avec la même violence dans une mine de platine de la compagnie Impala à Rustenburg. La grève, commencée fin janvier, avait bloqué la production pendant un mois, trois grévistes avaient été tués au cours d’affrontements et 17,000 licenciés, partiellement réembauchés par la suite.
Le droit de grève est très encadré et assez contraignant dans la loi sud africaine. A Marikana, les violences ont été dans un premier temps intersyndicales, entre le National Union of Mineworkers (NUM), qui a, de tous temps, été très proche de l’Anc au pont de lui fournir la quasi totalité de ses dirigeants au plus niveau. Ce fut le cas de Cyril Ramaphosa, qui fut président du NUM pendant la lutte contre l’apartheid et dont le syndicat a joué un rôle majeur dans la victoire et qui a été élu un des présidents de l’ANC au premier congrès du parti légalisé, à Durban en 1992. Kgalema Motlanthe lui a succédé, il a fait l’intérim entre la présidence écourtée de Thabo Mbeki et l’élection de Jacob Zuma entre 2008 et 2009, il est aujourd’hui son vice président, sans oublier Gwende Mantanshe, membre actuel du « top 6 » de l’ANC. La liste n’est pas exhaustive.
Le NUM est très représentatif de la puissance de la confédération Cosatu et jouit d’une reconnaissance à la mesure de cette puissance dans les milieux patronaux et politiques. Le problème est qu’à la base, au niveau le plus exploité de la classe ouvrière son étoile se ternis. Plusieurs témoignages publiés par la presse sud africaine font état de la rancœur, de l’incompréhension des grévistes face à la manière très respectueuse dont sont traités les représentants du NUM lors des négociations. Les opposants à la direction du NUM ont beaucoup utilisé cette rancœur. Et de conflit en conflit, de mine en mine l’audience des dissidents s’est construite au point d’être en mesure au tout début des années 2000 de constituer un syndicat légal. D’ailleurs en 2001, AMCU a été reconnu par la direction de Lonmin, mais de manière « limitée ». Reconnaissance de la réelle augmentation de son audience et du nombre de ses membres et limitée pour ne pas froisser trop directement les dirigeants du NUM. Les affrontements ont tué une dizaine de personnes dont deux policiers et deux gardes de compagnie de sécurité privée. Depuis la tuerie du 16 aout où la police a tiré à balles réelles, NUM se démarque nettement sur l’appel à la grève dont il déclare aujourd’hui ne pas être partie prenante, il dénonce, également, l’incapacité de AMCU de conduire un mouvement revendicatif sans le précipiter dans la violence. NUM traite également avec un certain mépris le caractère qu’il juge extravagant de la demande salariale de AMCU, 12,000 rands (1,200€), le salaire actuel est de 4,000 rands environ pour cette catégorie de travailleurs au fond de la mine.
L’autre conséquence de l’événement est économique. Le document de I-Net Bridge que Business Day a publié montre l’évolution sur le prix du platine à la bourse de Johannesburg, le rand, la monnaie sud africaine a également subi les pressions de la crise. La baisse de 0,34% vis à vis du dollar a été constaté dès le lendemain du massacre, montrant à quel point la crise du secteur minier sud africain a des conséquences internationales.
Dans les milieux patronaux, qui ont vécu les relations sociales devenues ingérables à la fin de l’apartheid et le rôle décisif qu’ont joué les syndicats redoutent que les événements de Marikana soient la boite de pandore qu’il ne fallait ouvrir. Les images de la violence ont réveillé la douleur et les frustrations du passé. Les milieux d’affaires et politiques, sans trop le montrer, redoutent qu’elle se propagent sur un des secteurs parmi les plus décisifs de l’économie sud africaine. Et le plus emblématique.
Que révèle la crise de Marikana ?
Les titres de la presse décrivent la violence du choc. Dans la presse populaire telle que Sowetan, Citizen la dramatisation est intense. Elle l’est tout autant, mais sur un autre ton dans les magazines lus par la classe moyenne et supérieure, tels que les publications du groupe Independent, du Mail & Guardian, dans la presse afrikaner, la presse économiques et financière tel que Business Day, Financial Times, Mining Weekly, les conséquences de l’événement de Marikana n’ont échappé à personne.
Les dirigeants du pays ne peuvent qu’en avoir pris conscience, particulièrement de la dimension politique. Le premier à se présenter aux grévistes a été Julius Malema et il fut bien reçu en demandant la démission de Jacob Zuma et la nationalisation des mines. Il a également dénoncé la position dans les boards des grandes entreprises du secteurs de membres influents de l’ANC, tels que Cyril Ramaphosa ou Patrice Motsepe ou encore Tokyo Sexwale, ministre du développement Humain. Il leur a demandé de se retirer de leurs positions en signe de solidarité populaire. De quoi enflammer les milliers de grévistes rassemblés autour de lui, mais également les familles dans les townships, dans les squatters camps face à un jeune Malema vêtu d’un blouson rouge, images retransmises par toutes les chaines de télévision. Avant même que Jacob Zuma se soit déplacé sur le site où il a visité des victimes hospitalisées mais ne s’est pas adressé aux grévistes.
Les chefs traditionnels se sont aussi déplacés à Marikana dont les mineurs viennent de zones très traditionnelles d’Afrique du sud. Du Pondoland, une région de la province du Cap Oriental, des montagnes du Lesotho. Ils vivent dans les bidonvilles autour de la mine dans des constructions illégales loin de leur famille, où il est rassurant de croire que « witchcraft » la sorcellerie a le pouvoir de les sortir d’affaire.
Le massacre de Marikana tombe très mal pour les dirigeants de l’ANC qui sont dans la dernière ligne droite de la succession de Jacob Zuma à la présidence du mouvement. Il est trop tôt pour dire de quel coté penchera le curseur, mais à quelques semaines de la conférence de Mangaung et dans l’état de tétanisation, le mot n’est pas trop fort, dans lequel se trouve la classe politique, dans son sens le plus large, la question de savoir qui est responsable du massacre de Marikana pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. Les jours et les semaines qui viennent seront très importantes, peut être décisives pour le sens du curseur. Le 17 septembre s’ouvre entre Johannesburg et Pretoria le congrès de COSATU, membre de l’alliance gouvernementale. Traditionnellement, la question de la participation de la confédération à l’alliance sera posée mais, à la lumière de Marikana, avec beaucoup plus d’acuité que dans les congrès précédents.