Nov 032012
 

Il existe des tensions dans le secteur minier sud-africain – entre les travailleurs, les actionnaires et les syndicats, qui tirent tous dans des directions très différentes. Les choses ne peuvent pas continuer ainsi, si l’Afrique du Sud veut s’assurer un avenir minier durable. MANDY DE WAAL a discuté avec le sociologue Gavin Hartford, spécialiste des relations industrielles, des causes, des conséquences et des pistes possibles pour sortir du bourbier dans lequel est plongée l’industrie minière.

Le secteur minier sud-africain est l’otage, semble-t-il, d’une Trinité qui est tout sauf Sainte.

Dans le premier coin du ring on trouve une main d’œuvre de plus en plus militante qui réclame des salaires suffisants pour vivre, des conditions de vie décentes et qui appelle à ce qu’elle nomme la ‘démocratisation’ du secteur minier.

Dans un deuxième coin : les compagnies minières. Certaines d’entre elles ont adopté une ligne plus dure que d’autres, et les plus intransigeantes réagissent avec une agressivité implacable, en déclarant les grèves illégales, en menaçant les ouvriers de licenciement ou en les renvoyant carrément.

Les compagnies les plus dures sont dirigées par des actionnaires insaisissables qui veulent avoir un retour sur investissement quelles que soient les circonstances, et ils ont l’appui d’une classe politique ayant des intérêts significatifs directs dans le secteur minier. Au niveau national, l’industrie minière est soutenue par un gouvernement qui, à travers ses forces de l’ordre, est allé jusqu’à tuer ses partisans pour maintenir celui-ci.

Et dans le troisième coin : les syndicats qui sont de mèche avec le gouvernement et le monde des affaires, et qui semblent s’être détournés d’une force ouvrière qui a enrichi le monde syndicaliste au point où des structures comme le National Union of Mineworkers  1 participent (par le biais de filiales d’investissement) au capital de sociétés minières.

 » C’est perdant-perdant  » a déclaré Gavin Hartford au Daily Maverick. « Personne ne parle de ce qu’il va réinjecter dans l’équation. Personne ne regarde comment le gâteau pourrait être agrandi afin que tous puissent en profiter. Non ; la conversation se fige dans un antagonisme et un point de vue unidimensionnels entretenus par la crise.  »

 » La question que les actionnaires du secteur minier devraient poser, c’est : ‘Comment répartissons-nous le butin afin que la poule aux oeufs d’or puisse continuer à pondre pour le bien de tous ?’ C’est là que réside le futur de l’industrie minière en Afrique du Sud. Si on échoue sur ce point, c’est sans doute une nationalisation qui nous attend.  »

Hartford, P.D.-G. de The Esop Shop  2, accuse le secteur minier sud-africain d’avoir répandu des « théories de maternage à la guimauve » à coups de com, de chartes de bonne conduite et autres rapports de développement durable feignant de promouvoir les valeurs de partage et d’attention. « On ne trouve pas de vrai dialogue dans ce secteur, dialogue dont l’unique objet est de savoir ce à quoi il faut renoncer pour s’assurer que tous les groupes d’intérêt puissent jouir, avec le temps, de vrais retours. Sinon, ce sera toujours perdant-perdant. »

Hartford a récemment publié un rapport de 11 pages sur la crise du secteur intitulé « La vague de grèves dans l’industrie minière : Quelles sont les causes et quelles sont les solutions ? »

Dans son étude, Hartford écrit que les médias se trompent sur le diagnostic des causes des grèves, et met l’industrie au défi de se réinventer parce qu’elle est toujours prisonnière du fantôme de l’apartheid. « La vague de grèves vient d’un contexte général de graves inégalités et de grande pauvreté, et quand s’y ajoutent les fardeaux, d’ordre financier et autre, liés au régime du travail migrant hérité de l’apartheid, la situation devient insupportable » écrit-il. « Ces facteurs ont entraîné la grève. Et une fois celle-ci enclenchée, les institutions de négociation des conventions collectives, sous la forme de structures et processus patronaux et syndicaux, se sont trouvées démunies pour stopper la crise sociale et traiter de ses causes fondamentales. »

Quelle est la véritable origine du « printemps des mineurs » en Afrique du Sud ? Hartford est persuadé que c’est le système de travail migrant– inchangé malgré la disparition de l’apartheid –, avec les conditions de déplacement et de logement des migrants, qui a créé un double fardeau économique ; ce sont aussi les institutions et les processus de négociation des conventions collectives qui sont lamentablement passées à côté des signaux de mécontentement et n’ont pu s’attaquer aux causes. Il pointe du doigt la direction des compagnies minières ainsi que les services de gestion des ressources humaines et de management de ces entreprises, et il se dit convaincu que ces structures hiérarchiques sont complices de l’échec actuel du secteur.

Selon Hartford, « la seule solution est de repenser radicalement l’avenir du travail migrant, de la négociation des conventions collectives, et de l’interface direction/employés tant au niveau des puits que des mines prises globalement » et il ajoute que ce n’est qu’à travers ces interventions et en reconnaissant  la nécessité d’un partage des bénéfices entre tous les acteurs de l’industrie minière que la bonne performance future du secteur sera assurée, et que ce secteur restera attractif pour l’investissement.

« J’ai été syndicaliste pendant de longues années dans les années 80 et 90 » explique Hartford. « A cette époque, il n’y avait qu’un seul DRH (responsable des Relations Humaines) ou DRI (responsable des Relations Industrielles) pour s’occuper de la négociation de la convention collective, parce que l’organisation du temps de travail ou les discussions sur les bonus se faisaient toujours entre les employés et leurs supérieurs hiérarchiques directs. »

Quand la démocratie est arrivée (en 1994), il y a eu une révision complète, et très nécessaire, du dispositif de lois régissant le monde du travail en Afrique du Sud, qui désormais comprend notamment le Skills Development Act 3, le Mineral and Petroleum Resources Development Act 4, le Mine Health and Safety Act 5. Les relations syndicales dans le secteur minier devenant de plus en plus complexes avec l’arrivée de ces nouvelles lois, les compagnies se sont adjointes les services de professionnels pour analyser les lois et s’assurer que l’entreprise s’y conformait.

Ce faisant, le service des Ressources Humaines a enflé, passant souvent d’un seul et unique représentant à toute une légion de professionnels de l’entreprise très diversifiés qui se sont appropriés la formation interne, l’adaptation, la communication, la liaison avec la communauté, les problèmes juridiques et les relations publiques. Hartford explique qu’au cours du processus de transformation des relations employeur/employé, la communication entre la hiérarchie et les ouvriers a été perturbée et interrompue par cette nouvelle gestion des Ressources Humaines. « Un fossé s’est creusé, une séparation s’est faite entre la hiérarchie et les employés, ainsi qu’entre les syndicats et les syndiqués. » Toutes ces lois relatives au code du travail ont eu pour conséquence, involontaire mais bien réelle, de produire des institutions ayant de vastes groupes d’employés qui se sentent exclus.

Le cadre légal et le cadre institutionnel ont provoqué une déconnexion au sein de cet environnement, tandis que les facteurs économiques et les conditions sociales ont créé la poudrière. Marikana en a été l’étincelle.

« L’industrie du platine a tout fait pour centraliser les négociations syndicales, créant une situation très risquée, parce qu’aucune des organisations syndicales ne jouit de la confiance des employés. Le NUM s’est discrédité et l’AMCU 6 n’est que la réunion d’anciens leaders syndicaux et d’entreprises dans le but de façonner un nouveau syndicat. Ce que les compagnies minières devraient être en train de faire, c’est créer des structures internes à l’échelon le plus bas possible et commencer à écouter les employés » indique Hartford.

« Si j’étais membre d’une société minière, je ferais le tour de tous les puits et autres activités sur le terrain pour dire qu’il faut créer des forums qui impliquent les ouvriers, les représentants syndicaux et la communauté à l’échelon le plus bas possible, mais de la manière la plus participative possible » ajoute-t-il.

Au lieu de quoi les mines se sont tant embourbées dans les fonctions de RH, de RP 7 et de RI, ainsi que dans des arrangements collectifs avec les syndicats, qu’elles ont cessé d’écouter les employés.

Hartford pense que le changement, si tant est qu’il vienne, sera lent : « Il faudra des années…  très longtemps pour que ça change. La première chose à comprendre, c’est que l’industrie minière est vieille de 150 ans, la mémoire institutionnelle y est très forte et ce n’est pas une industrie capable de changer rapidement. C’est un secteur très hiérarchisé et institutionnalisé. Si des mines souhaitent modifier la grille salariale, la répartition du temps de travail, les postes ou les effectifs, ça prend beaucoup de temps. »

En effet, il y a la question du temps, mais un autre élément crucial dans ce secteur, c’est la volonté politique. Marikana commençant à s’estomper de notre conscience populaire (c’est inévitable avec le temps), il nous restera à voir ce que l’industrie minière aura retenu des grèves féroces qui ont fait rage dans le secteur du platine en particulier. Toutes ces grèves de 2012 suffiront-elles à entraîner un vrai changement, ou les mines retomberont-elles dans leurs bonnes vieilles habitudes, comme elles l’ont fait après chaque crise à laquelle elles ont été confrontées ? DM

Analyse par Mandy de Waal sur le site de  Daily Maverick le 12/10/2012