Déc 152011
 

le ministre sud-africain du Commerce et de l’Industrie, Rob Davies

L’Afrique du Sud soutient le projet d’une monnaie unique au sein du groupe BRICS, dont ces géants émergents pourraient se servir pour leur commerce mutuel et éviter ainsi une conversion en dollars ou en euros.

Ebauchée en avril quand l’Afrique du Sud a rejoint au sein du groupe le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine, l’idée pourrait surprendre vu la crise de la zone euro qui remet en question le bien-fondé d’une monnaie unique ne s’appuyant pas sur une fiscalité centralisée. On estime que les pays BRICS détiennent la moitié des réserves mondiales de devises, alors que les réserves de l’Europe et des États-Unis s’effritent.

Dans un entretien accordé au Mail and Guardian le ministre sud-africain du Commerce et de l’Industrie, Rob Davies, a affirmé que la recherche d’un substitut aux monnaies convertibles est une priorité des pays BRICS.

«  Un de nos problèmes essentiels est de pouvoir commercer entre nous sans avoir recours à la monnaie d’un pays tiers et aux monnaies convertibles telles que le dollar ou l’euro, qui sont incroyablement volatiles en ce moment. »

La création d’une monnaie unique serait « une ambition à long terme » compliquée, mais Davies a révélé  qu’un système intérimaire de compensation (clearing-out) allait être négocié pour permettre aux pays BRICS de commercer sans utiliser dollars ni euros.

« Un système de compensation serait un changement structurel majeur dans notre façon de commercer. »

Davies a indiqué qu’il n’avait pas encore été décidé si une nouvelle monnaie serait créée pour les pays BRICS ou si le commerce se ferait dans une des cinq monnaies existantes.

Assez en commun pour créer une nouvelle monnaie ?

«  Il faudra attendre pour voir ce qui sera proposé mais j’imagine que le premier pas sera une sorte de chambre de compensation ; autrement dit nous comparerons nos balances commerciales et les compenserons, pour financer le commerce. »

Il y a déjà quelque temps une proposition avait été élaborée par les autres pays membres mais elle a dû être abandonnée lors de l’adhésion de l’Afrique du Sud. La question fera partie des discussions au prochain sommet BRICS en Inde en 2012.

Certains analystes reconnaissent qu’une monnaie unique BRICS présenterait un avantage dans la mesure où elle réduirait la dépendance vis-à-vis du dollar et de l’euro pour le commerce Sud-Sud. Mais sa mise en place prendrait des années.

Accords commerciaux

Les critiques du projet soulignent que, même si des accords bilatéraux et multilatéraux existent entre les Etats membres, à l’heure actuelle il n’y a aucun accord commercial officiel en place. Parler d’une monnaie unique serait donc, selon eux, prématuré. De plus, bien que le cours des monnaies sud-africaine et brésilienne soit flottant, la Chine et la Russie ont une politique monétaire hautement régulée, ce qui serait un obstacle à la mise en place d’une monnaie commune.

Commercer à l’aide d’une monnaie commune serait certes bénéfique, mais il faut aussi considérer que les pays du groupe BRICS mesureraient toujours leur niveau de commerce à l’aune du dollar ou de l’euro, et donc cette dépendance persisterait. En dépit d’une nette évolution vers des échanges Sud-Sud dans les pays émergents, la plus grande partie des échanges commerciaux se fait toujours avec l’Occident.

C’est la Chine, la plus grande économie du groupe BRICS et la deuxième au monde après les États-Unis, qui pousse à cette monnaie unique. La super puissance asiatique ne cache pas ses ambitions à long terme : que le renmimbi ou le yuan affronte le dollar états-unien. Des transactions bancaires en renmimbi sont déjà possibles en Zambie et au Nigéria et les banques centrales de ces pays ont l’intention de détenir en monnaie chinoise une partie de leurs réserves.

Des actions sont déjà prévues pour simplifier les échanges entre les pays BRICS. En octobre les bourses du Brésil, de la Russie, de Hong-Kong et de l’Afrique du Sud ont dévoilé un accord (le BRICS Exchange Alliance) sur les cotations croisées (cross-listing) pour les contrats dérivés, en vue de leur capitalisation combinée d’une valeur de 9 000 millards de dollars.

Les bourses de ces pays ont en tout 9 481 sociétés cotées et en juin 2011 elles représentaient 18% du volume des contrats dérivés (derivative contracts) échangés dans le monde.

En rejoignant le groupe BRICS, l’Afrique du Sud est entrée dans un cénacle très important, mais certains s’interrogent pour savoir si le pays est vraiment qualifié pour en faire partie et ce qu’il y gagnera  réellement.

En septembre, dans un document rédigé pour l’Institut sud-africain des Affaires internationales, Mzukisi Qobo a soutenu que l’Afrique du Sud ferait mieux de se focaliser sur le commerce interafricain et qu’elle risquait de voir sa politique étrangère dominée par la Chine et par l’Inde. Il a aussi alerté sur le fait que si les pays BRICS devaient  « tomber en disgrâce » auprès des pays africains, cela pourrait « donner une mauvaise image de l’Afrique du Sud sur le continent africain ».

Mais pour Davies faire partie de BRICS visait à améliorer le commerce sud-africain avec les marchés émergents à la fois sur le plan qualitatif et sur le plan quantitatif.

« Nous constatons déjà un infléchissement vers le commerce avec les pays BRICS, notamment avec la Chine et l’Inde. La Chine est notre premier partenaire et l’Inde est le sixième pour nos exportations et le neuvième pour nos importations. »

Une question se pose : Quels sont la nature et le contenu de ce commerce ?

«  Il se trouve que nous fournissons essentiellement des matières premières, surtout à la Chine mais aussi à l’Inde. Dans les deux cas nos dix premiers postes sont dominés par les produits miniers. Nous pensons que nous devrions travailler ensemble pour changer la structure de notre commerce afin d’exporter davantage de produits à valeur ajoutée qui vont encourager la création d’emplois. »

Selon Davies les discussions avec la Chine à ce sujet avancent et ce mois-ci des délégations commerciales sud-africaines seront présentes à des foires commerciales à Shanghai et à Beijing pour promouvoir des produits à valeur ajoutée.

« Au sein du groupe BRICS nous sommes tous des pays en voie d’industrialisation », a-t-il ajouté, « et ce dont nous devons discuter, c’est le développement d’un commerce complémentaire dans des domaines où nous ne sommes pas en concurrence directe. »

Des discussions sur ce commerce complémentaire ont déjà lieu, parallèlement aux pourparlers bilatéraux et multilatéraux, mais selon Davies les discussions BRICS ne font pas double usage avec celles du Forum de Dialogue qui réunit l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud.

BRICS comprend la Chine et la Russie, ce qui n’est pas le cas du Forum, a-t-il précisé. Cela diversifie les discussions, mais, selon Davies, ne diminue en rien l’importance des accords de coopération signés par les membres du Forum.

«  Le cadre de coopération du Forum est très large. Nombreux sont les secteurs concernés : par exemple, la coopération entre petites entreprises. »

Répondant à ceux qui disent ne voir en BRICS qu’un forum de discussion plutôt qu’une organisation active, Davies dit :

« Je pense que nous devons aussi construire un programme de coopération dans le cadre de BRICS  mais c’est un travail en cours. »

L’entrée de l’Afrique du Sud dans BRICS a eu lieu en même temps que notre pays s’intéressait de façon croissante au commerce interafricain et que les décideurs demandaient une amélioration des infrastructures et des mécanismes commerciaux en Afrique. Mais Davies refuse l’idée que notre pays devrait se focaliser sur le commerce africain, tout en soulignant que l’Afrique du Sud est totalement solidaire du commerce régional et du développement des infrastructures sur le continent. Il a souligné que le gouvernement jouait un rôle majeur dans la Zone Tripartite de Libre-échange du Cap au Caire qui avait pour objectif de rassembler vingt-six pays en un seul bloc commercial.

« Malgré notre adhésion à BRICS nous ne tournons pas le dos à l’Afrique. Nous sommes conscients que si nous participons à BRICS, c’est en partie parce que nous faisons partie du continent africain et que ce continent a une importance stratégique émergente. »

« Nous ne sommes pas entrés dans BRICS en excluant l’Afrique. Faire partie de l’Afrique nous positionne comme pays pivot dans les relations économiques émergentes de l’économie mondiale. »

Selon Davies, l’accord sur la zone de libre échange créerait un bloc doté d’une économie cumulée de 1 000 milliards de dollars et d’une population de 700 millions.

« Donc, avec la construction de cette base, l’Afrique occupera une position plus forte dans le monde et à travers nous elle aura accès aux pays BRICS. »

Publié le 18/11/2011 dans le Mail & Guardian par LOUISE REDVERS

Traduction J.P. et W. Richard

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