Qui aurait cru que les pays non-alignés pourraient encore s’organiser en dehors du G8 ou même du G20, il y a encore une dizaine d’années ? Certainement pas les pays occidentaux ! Pourtant, ce sont les conséquences négatives sur les économies occidentales, américaines et européennes au plan budgétaire qui poussent à cette nouvelle organisation d’une meilleure maîtrise de la monnaie au sein des pays du BRICS, et à termes entre les pays en développement volontaires. Il s’agit donc de bâtir une nouvelle architecture financière et monétaire. Les BRICS doivent trouver de nouveaux alliés pour éviter à tout prix de continuer à compter, payer et épargner en euro ou en dollar américain.
La faute à qui ? La déréglementation. En effet, dès lors que les Etats-Unis et l’union européenne sont incapables de maîtriser les conséquences de la déréglementation tous azimuts prônés depuis les années 1970, la gestion rigoureuse des budgets publics s’est perdu dans le brouillard du « laisser-faire et de la main invisible ». Sauf que le poids des externalités financières et monétaires sont bien visibles sur le pouvoir d’achat, les délocalisations et surtout les importantes pertes de création d’emplois en économie de proximité.
Alors, le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du sud peuvent-ils s’organiser pour créer une monnaie commune afin d’échapper à une perte systématique de leur épargne ? Dans la négative, le pragmatisme ne commande pas d’utiliser la monnaie du principal créancier qu’est la Chine pour régler les transactions et faisant usage le plus possible d’une forme nouvelle de la compensation et ses possibilités nouvelles de réinvestissement des surplus comme effet de levier ?
1. BRICS ET ALLIES
Alors que l’Union européenne et les Etats-Unis sont en train de voir leurs réserves internationales fondre comme neige au soleil ainsi que leur équilibre budgétaire s’enfoncer dangereusement dans le rouge, les pays émergents s’interrogent sur ce qu’ils pourraient faire ensemble alors qu’ils possèdent plus de 50 % des réserves mondiales. D’ailleurs, les pays émergents pourraient ne plus comprendre uniquement le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du sud. D’autres pays pourraient venir les soutenir en temps que membres d’un deuxième cercle concentrique de pays non-alignés comme le Nigéria, un important pays d’Afrique subsaharienne ou ailleurs les pays comme la Turquie, l’Indonésie ou le Venezuela… Contrairement à l’UE, il ne s’agit pas en réalité de créer une monnaie commune, encore moins une monnaie unique, mais un instrument de paiement commun pour éviter que les échanges entre membres de la zone ne perdent de leur valeur monétaire du fait d’une conversion en euro ou en dollar américain. Compte tenu de la capacité des zones euro et dollar de voir la valeur de leur monnaie s’effriter compte tenu de la mauvaise gouvernance budgétaire passée, les BRICS ne peuvent accepter de voir leur épargne, leurs réserves internationales donc, perdre jusqu’à plus de 30 % de leur valeur. Ce serait une ponction intolérable sur leurs revenus. Il devient urgent pour les économies BRICS de trouver un « substitut aux monnaies convertibles 1 » comme l’euro ou le dollar américain.
2. EVITER A TOUT PRIX D’ECHANGER DES EUROS OU DES DOLLARS AMERICAINS
Aucun des pays du BRICS et ses alliés n’est prêt à accepter de commercer unilatéralement dans l’une des cinq monnaies d’un membre du BRICS, ni d’ailleurs d’aller réellement vers une « monnaie commune » qui aurait au moins les trois principales fonctions d’une monnaie à savoir : la monnaie de paiement, la monnaie de compte, la monnaie de réserve. En l’espèce, il est question d’abord que les économies du BRICS puissent ne plus dépendre du dollar américain ou de l’euro pour les échanges entre elles. A ce titre, ce sont les fonctions de « compte » et de « paiement » dans les échanges qui deviennent primordiales. En y adossant systématiquement un système de compensation, les Etats BRICS pourraient procéder à leurs échanges et ne solder les comptes qu’en fin d’exercice. Cette pratique est déjà institutionnalisée par la Chine et pose encore des problèmes de transparence. Mais elle présente l’avantage de créer pour les pays africains une marge de manœuvre économique fondée sur l’abondance et la valeur attribuée aux matières premières non transformées face à la marge de manœuvre économique en produits manufacturés qu’offrent les pays émergents. Il n’est donc pas question de création d’une monnaie unique ou de monnaie commune pour les BRICS avant une plus grande convergence monétaire et fiscale au sein du groupe.
RESERVES INTERNATIONALES – PAYS/REGIONS CHOISIS (en milliards de $US) : 2003-2016 (années choisies) |
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Pays/Régions |
2003 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
Brésil |
48,9 |
237,4 |
287,5 |
366,1 |
412,9 |
Chine |
409.3 |
2417.9 |
2889,6 |
3479,5 |
4112,7 |
Inde |
99,5 |
266,2 |
291,5 |
319,7 |
354,9 |
Russie |
73,8 |
417,8 |
454,5 |
527,4 |
582,5 |
Afrique subsaharienne |
39,1 |
156,4 |
159,4 |
193,2 |
225,6 |
Dont Afrique du sud et Nigeria |
13,8 |
71.5 |
74,5 |
94,7 |
103,8 |
Afrique du nord et Moyen-Orient |
230,3 |
1001,2 |
1104,0 |
1249,0 |
1371,1 |
Source : IMF (2011). World Economic Outlook : Slowing Growth, Rising Risks, September 2011, Washington D.C., p. 204. |
La Chine apparait comme le principal moteur de toute initiative ayant des chances d’aboutir au sein des pays BRICS, voire avec les alliés officiels ou officieux. Avec plus de 4112 milliards de $US de réserves, la Chine aurait pu sans aucune difficulté et à elle toute seule offrir les 1000 milliards d’Euro tant recherchés pour soutenir le fonds européen de stabilisation financière incapable de faire face actuellement avec 440 milliards d’Euros de dotation.
3. BRICS ET MONNAIE COMMUNE : IMPOSSIBLE POUR LE MOMENT
Mais pour créer une monnaie commune, il faut absolument organiser la convergence monétaire. Sur ce plan, les économies sont encore trop divergentes et il n’est pas sûr que les mieux dotés seraient d’accord pour « systématiquement » éponger les dettes de ceux qui le sont moins surtout si ces dettes émanent d’erreurs d’arbitrages grossières voire de la corruption. C’est donc bien une régulation flexible interne à cette zone qu’il convient d’inventer. Mais le vrai problème de fond est structurel. Tous les pays du BRICS commercent d’abord et principalement avec l’UE ou les Etats-Unis.
Pour mémoire, en 2009, la Chine exportait pour 77,9 % de biens et importait pour 65,4 % des pays à revenus élevés. Elle n’exportait que 17,7 % en dehors de sa région (Asie pacifique et est) et 6,6 % dans la région. La Chine n’importait que 17,1 % en dehors de sa région (Asie pacifique et est) et 9,1 % dans sa région. Toujours en 2009, l’Afrique subsaharienne exportait pour 57,9 % de biens et importait pour 52,3 % des pays à revenus élevés. Elle n’exportait que 27,9 % en dehors de sa région (Afrique subsaharienne) et 13,7 % dans sa région. L’Afrique subsaharienne n’importait que 22,7 % en dehors de sa région (Afrique subsaharienne) et 11,8 % dans sa région 2.
Or, il n’y a aucune chance d’avoir une monnaie viable si l’essentiel des échanges et du commerce ne se fait pas entre les partenaires de la zone, soit au moins 50 %. Dire que les BRICs pourraient créer une monnaie « unique » ou en fait commune à terme relève d’une allégation non vérifiable par l’état des économies de la zone BRICS. Par contre, rien n’empêche la sophistication du système de compensation et de réinvestissement, ce qui aura l’avantage de créer un effet de levier que le système postcolonial occidental a systématiquement bloqué en neutralisant, directement ou avec des intermédiaires africains, le développement des capacités productives, l’innovation et la transformation des matières premières dans le cadre de développement de chaînes de valeur adaptées aux compétences disponibles. L’essentiel des efforts entre pays du sud passe par une nouvelle forme de « solidarisme contractuel 3» qui fonde la création d’entreprises conjointes et une rupture avec la course vers le bas des salaires. Il s’agit d’innover et d’assurer le maximum de retour d’investissement en termes d’amélioration du pouvoir d’achat.
4. UTILISER LE RENMIMBI OU LE YUAN, EN ATTENDANT ?
Un autre débat traverse actuellement l’Afrique du sud et au-delà l’ensemble des dirigeants africains qui considèrent que l’Afrique du sud pourrait négliger le commerce intrarégional africain au profit du commerce au sein des pays BRICS et pays à revenus élevés. Ce point est corroboré par les statistiques récentes. En effet en 2009, l’Afrique du sud exportait pour 60,3 % de biens et importait pour 58,0 % des pays à revenus élevés. Elle n’exportait que 21,8 % en dehors de sa région (Afrique subsaharienne) et 18,7 % dans sa région. L’Afrique du sud importait 35,3 % en dehors de sa région (Afrique subsaharienne) et seulement 7,0 % dans sa région 4.
En réalité, c’est que l’Afrique subsaharienne n’a pas grand-chose à offrir en termes de produits manufacturiers. Une rupture stratégique devient incontournable pour permettre une focalisation sur le développement des capacités productives, l’emploi et le pouvoir d’achat en Afrique et plus largement dans les régions en développement y compris les BRICS.
En attendant, dans les faits, les pays qui commercent le plus avec les pays du BRICS risquent de se retrouver rapidement avec des réserves de change contenant un pourcentage de plus en plus élevé de renminbi ou de yuan. Il suffit avec le système de compensation d’autoriser la fonction de monnaie de compte, puis de monnaie de paiement et enfin de monnaie de réserve au plan national, puis régional, puis africain puis BRICS et enfin entre pays en développement pour que la monnaie chinoise devienne de facto la monnaie des prochaines transactions inter-pays en développement. Il sera difficile pour les pays à haut revenu avec un déficit budgétaire abyssal de s’y opposer. YEA.
Notes:
- Louise Redvers (2011). « L’Afrique du sud soutient le projet de monnaie unique des pays BRICS », in, Lenaka.info, 15 décembre, article publié le 18 novembre 2011 in Mail & Guardian, traduit par J. P. W. Richard, voir : < https://lenaka.afrocentricity.net/2011/12/15/lafrique-du-sud-soutient-le-projet-de-monnaie-unique-des-pays-brics/932>, accédé le 2 janvier 2012. ↩
- World Bank (2011). World Development Indicators 2011, Washington D.C., pp. 338-339. ↩
- Yves Ekoué Amaïzo (2010). Crise financière mondiale. Des réponses alternatives de l’Afrique, éditions Menaibuc, Paris, 204 p. ↩
- World Bank, op. cit., pp. 338-339. ↩