Déc 022011
 

Le sens réel des événements de mardi réside dans la manière dont un ensemble extraordinaire d’opinions politiques et de points de vue se sont rejoints pour s’opposer à la loi.

La journée d’hier fut une journée remarquable au parlement, mais peut-être pas pour les raisons attendues. Une fois les étapes pour arriver au vote parlementaire franchies, il était inévitable que le Congrès National Africain (ANC) votât en faveur de la loi sur la Protection de l’Information d’Etat. Telle est la nature de notre système parlementaire ; les politiciens ne peuvent pas voter en fonction de leur propre conscience et convictions, ils doivent s’accorder à la ligne de leur parti sous peine de perdre leur emploi.

Le sens réel des événements d’hier se trouve de l’autre côté de l’assemblée. Ces événements représentent une des très rares occasions dans l’histoire récente de l’Afrique du Sud où tous les partis d’opposition, du Congrès Pan Africaniste à l’Alliance Démocratique en passant par le Parti Démocrate Chrétien Africain, ont voté dans le même sens. Un ensemble extraordinaire d’opinions politiques et de points de vue s’est assemblé pour s’opposer au texte de loi.

Plus fort encore, ils ont fait mutuellement référence aux programmes et bilans des uns et des autres, et ont fait l’éloge réciproque de leurs leaders respectifs. Ils ont parlé d’une voix. L’ANC a rarement, voire jamais, eu à forcer le passage d’une loi sans avoir le confort d’être soutenu par au moins un des autres partis.

De plus, l’unanimité contre la loi ne s’est pas cantonnée à l’opposition. D’anciens parlementaires et Ministres de l’ANC se sont ouvertement opposés au texte, tout comme l’a fait le Centre pour la Mémoire de Nelson Mandela, l’organisation la plus proche de notre emblématique ex-président. Le contexte politique des débats montra que l’ANC, malgré toute sa force législative, s’est trouvée isolée.

Pour beaucoup, on vient d’assister à un véritable tournant politique. Au-delà des forces et faiblesses du texte de loi, le sens politique à donner aux événements est que l’ANC, bien que s’étant aperçue qu’elle avait perdu sa suprématie sur la morale, a néanmoins décidé de faire aboutir le projet de loi.

En procédant ainsi, le parti a pris un virage, peut-être sans même s’en rendre compte. Il s’est déjà comporté par le passé d’une façon que la société peut considérer comme immorale, l’exemple le plus évident étant la gestion de l’épidémie du SIDA. Mais aujourd’hui, c’est différent. Tandis que le parti prétendait jusque là détenir la vérité morale, accompagnée de quelque justification, et l’utilisait comme un socle politique, c’est peut-être la première fois qu’il s’est dispensé consciemment des bienfaits d’une justification historique et a agi selon ses intérêt plutôt qu’en tant que représentant de la majorité.

C’est, du moins, l’interprétation positive. L’interprétation négative est qu’il a voté selon les intérêts de certains membres par rapport à leur fonction individuelle. Ce que l’ANC nous dit, c’est que la protection des secrets d’Etat est inhérente à sa mission. Mais, dans un contexte de campagnes de presse répétées pour dénoncer la corruption de fonctionnaires désignés  et de ses élus, il est tout aussi plausible que ce qu’il craignent vraiment, c’est l’exposition nominative à la vindicte populaire. Il y a un danger réel que cette loi puisse leur venir en aide, ce qui pourrait expliquer que l’ANC aille jusqu’au bout dans la promulgation de cette loi malgré les doutes exprimés par certains ex-membres – et certains actuels, bien que muets.

Ce changement pourrait être bien plus significatif qu’il y parait. Il fut un temps où le Parti national atteignait son firmament politique en Afrique du Sud, tout comme le fait l’ANC aujourd’hui, absolument certain de rester à jamais aux affaires. Rétrospectivement, le moment où changea le sentiment d’une légitimité de règne par devoir historique arriva, le parti bascula insidieusement dans le cynisme.

Pour le Parti National, cela devint une évidence au moment du scandale dit de l’information quand il fut révélé que l’argent du contribuable servait à financer des outils de propagande.

Prise telle quelle, la loi sur la Protection de l’Information d’Etat n’est pas si dramatique que l’exemple précédent. Cependant, de façon symbolique, l’instant politique est comparable. D’un exercice du pouvoir porté par l’intérêt général, les partis sont arrivés à un exercice du pouvoir parce qu’il leur est rendu disponible. Il y a un gouffre entre les deux, invisible sauf pour l’Histoire. Un gouffre dans lequel l’ANC est proche de tomber.

Editorial du Business Day du 23/11/2011

Traduit de l’anglais par Yann Richard.