Mai 162012
 

Photo : Joyce Banda – "intervention divine" au Malawi

Devant les tergiversations du gouvernement du Malawi pour annoncer la mort du président Bingu wa Mutharika jeudi, les citoyens, inquiets, s’attendaient au pire. Une lutte pour le pouvoir plongerait le Malawi dans une agitation encore plus profonde. Mais maintenant que Joyce Banda a endossé le costume laissé par Mutharika –et par là même tous les malheurs du pays–, elle est aussi chargée de gérer les attentes des Malawites.

Par KHADIJA PATEL pour le DAILY MAVERICK.

Le Malawi est l’un des pays les plus pauvres de la planète. Chose incroyable, 90% de la population vit avec moins de deux dollars par jour. L’espérance de vie y est faible, la mortalité infantile élevée, et le travail s’y est raréfié. Mais imperméable à la cruelle réalité décrite par les statistiques, le Malawi est toujours présenté comme le Warm Heart of Africa  1, et tout n’a pas été que malheur et tristesse. Le pays a connu une forte croissance entre 2004 et 2010. Alors que l’économie progressait de 7% en moyenne, dépassant toutes les performances passées, l’optimisme grandissait.

Toutefois les effets d’un tel progrès ne se sont pas fait immédiatement sentir.

En juillet dernier, le Malawi a été traversé par une vague de violence alors que des milliers de Malawites mécontents défilaient dans les rues des trois capitales régionales –Mzuzu, Lilongwe et Blantyre– pour protester contre la pénurie de carburant, les impôts et l’oppression politique. Les forces de l’ordre ont été déployées afin de ramener le calme et, dans les affrontements qui se sont ensuivis, 19 civils on trouvé la mort.

Alors que la situation au Malawi continuait d’empirer, le fardeau des Malawites expatriés en Afrique du Sud pour y vivre et y travailler s’alourdissait. Il n’existe pas d’estimation fiable sur le nombre de Malawites vivant en Afrique du Sud. En 2008 le ministère des Affaires étrangères du Malawi a déclaré qu’il ne disposait pas de données chiffrées quant au nombre de Malawites présents en Afrique du Sud parce que la plupart d’entre eux ne viennent pas s’enregistrer auprès de l’ambassade. Les mines, l’industrie et les ménages sud-africains profitent depuis longtemps de la main d’œuvre malawite bon marché.

Mayfair constitue le melting-pot de Johannesburg où se côtoient les travailleurs immigrés, les réfugiés et les vestiges de ce qui était sous l’apartheid une zone d’habitat assignée aux ‘Indiens’. Selon la communauté malawite, présente en force à Mayfair, ces deux dernières années ont vu augmenter rapidement le nombre de Malawites passant au Mozambique, au Zimbabwe et finalement en Afrique du Sud à la recherche de travail.

Akibuh Rajabu Ahmedullah se présente comme le porte-parole d’un groupe d’hommes malawites à Mayfair. Il dit que même des hommes d’affaires malawites ayant connu la réussite sont arrivés à Johannesburg, acceptant des postes inférieurs afin de nourrir leur famille restée au pays. « Nous leur demandons ce qu’ils sont venus faire ici et ils nous répondent que la situation au Malawi est devenue très mauvaise ».

Ahmedullah a 28 ans. Avec son jean et sa chemise blanche, il semble plus appartenir aux terrasses des cafés des banlieues chic qu’à la vie de simple chauffeur à Midrand. Il vient de Mangochi et est arrivé à Johannesburg il y a 7 ans. Il gagne 2000 rands (environ 200 euros), dont les deux tiers partent en frais quotidiens, le reste étant rapatrié au Malawi. « Quand on discute avec les gens restés au pays, il sont en larmes. Les prix ne cessent de grimper. Ils manquent de tant de choses. »

Le groupe d’hommes qui l’entoure acquiesce en chichewa. Pour eux, c’est la faillite du système éducatif qui les a condamnés à quitter leurs foyers pour trouver du travail. Même si l’enseignement public au Malawi s’est renforcé, il ne permet toujours pas de répondre aux besoins du Malawi quant à une force de travail correctement formée. Ils sont là, assis côte à côte, à Johannesburg –ouvriers, employés de maison, chauffeurs-livreurs–, loin de chez eux, mais leurs histoires sont loin de ne concerner que le Malawi.

Tout comme les légions de jeunes chômeurs qu’on trouve en Afrique du Sud et au Moyen-Orient, ils ne reçoivent pas une éducation adéquate et sont mis sur la touche par des économies qui n’offrent pas d’emplois à la mesure de leurs compétences et de leurs ambitions. Ils représentent une génération laissée en marge, qui doit faire face à toutes les exigences du monde des adultes sans en avoir les moyens. « J’ai terminé l’école et après je me suis retrouvé à tourner en rond chez moi. Il n’y avait pas de travail pour moi. Que pouvais-je faire ? » demande Ahmedullah. « Je suis venu en Afrique du Sud pour travailler, pour moi et ma famille. »

Le Malawi a basculé dans la crise économique l’année passée quand Mutharika, ancien économiste de la Banque Mondiale, un ponte dans son domaine mais un caractériel, s’est disputé avec de grands donateurs occidentaux, qui ont alors gelé des millions de dollars d’aide comptant traditionnellement pour environ 40% dans le financement du budget du pays.

Ahmedullah est convaincu que Mutharika a desservi la cause du peuple malawite. Loin des stratégies liées à l’aide au développement et des exigences de la communauté des donateurs, aux yeux de ceux qui ont été les plus affectés par les malheurs économiques du Malawi, c’est une faillite au niveau de la direction du pays qui a amené le Malawi à souffrir de problèmes tels qu’une grave pénurie de sucre.

Ali Hussein, un employé de maison de 28 ans, originaire de Lilongwe, vivant et travaillant actuellement à Mayfair, accuse Mutharika d’avoir été un frein à la croissance du Malawi. « C’est là qu’il faut chercher l’explication du recul du pays », dit-il. « Le commerce, c’est important. Je pense que si le Malawi baisse ses taxes à l’importation, il se redressera. » Ahmedullah acquiesce : « Peut-être les choses vont-elles s’arranger à présent mais les entreprises ont souffert. Les gens qui venaient acheter des produits en Afrique du Sud afin de les revendre au Malawi ne peuvent plus se rendre ici car là-bas il n’y a plus ni essence ni argent. »

Entre 2007 et 2009, l’aide internationale a représenté un cinquième du PIB et ce lundi, le ministre des finances Ken Lipanga a dit à Reuters qu’il s’attendait à une levée de la suspension de l’aide internationale sous Joyce Banda, la nouvelle présidente du pays. Tout au long de 2010, le FMI a pressé l’administration de dévaluer le kwacha afin d’encourager l’investissement et les échanges commerciaux, mais le gouvernement malawite n’a suivi cette recommandation. Lipenga soutient maintenant que c’était Mutharika qui bloquait les projets de dévaluation de la monnaie car il s’inquiétait de voir cette mesure affecter les pauvres. Pourtant, ce sont les querelles de Mutharika avec les donateurs qui ont entraîné les plus pauvres du pays dans une plus grande souffrance.

Selon Steve Sharra, un blogger malawite pour Global Voices à Lilongwe, nombreux sont ceux au Malawi qui pensent que la reprise de l’aide résoudra les problèmes du pays. Et, même si l’aide internationale peut faire office de baguette magique pour résorber des problèmes tels que la pénurie de carburant, « ce que nous avons désormais appris, c’est à quel point l’État du Malawi est vulnérable compte tenu de sa dépendance envers l’aide. »

Quand le président sortant Bingu wa Mutharika et son Parti démocrate progressiste (DPP) ont obtenu haut la main un second mandat aux élections de mai 2009, Mutharika a nommé Banda vice-présidente. Rapidement il s’est brouillé avec elle, mais la Constitution l’a empêché de la destituer unilatéralement. En décembre 2010, il l’a exclue du parti au pouvoir. Bien que les services de la Présidence l’aient vigoureusement démenti, l’exclusion de Banda a été largement due à son refus d’approuver la désignation du frère de Mutharika comme prochain candidat du DPP à l’élection présidentielle.

Mutharika a justifié ses décisions en comparant Banda au diable : « Je ne suis pas le premier à mettre quelqu’un à la porte. Cela s’est déjà fait au paradis. Avant de commencer à m’accuser d’être intolérant parce que j’ai éjecté Joyce Banda du DPP, prenez-vous-en donc à Dieu pour avoir éjecté Lucifer du paradis. »

Quand Saidi Whie, employé domestique de 32 ans, a appris que Mutharika était mort, il l’a comparé au président du Zimbabwe, Robert Mugabe. « Il est pareil que Mugabe. C’est bien qu’il soit mort. »

Selon Sharra, les réactions à la mort de Mutharika n’ont pas été unanimes. « Les gens semblent pousser un soupir de soulagement, étant donné les événements de l’année dernière, mais d’autres sont partagés. Ils pensent montrer du soulagement à la mort de quelqu’un, c’est manquer de respect. »

Joyce Banda incarne désormais ce que Sharra appelle « l’intervention divine » dans les affaires du Malawi. « La chance lui est offerte de prendre un nouveau départ. Elle sait ce qui n’a pas fonctionné. Elle connaît la réalité du pouvoir politique au Malawi, mais elle jouit aussi d’une bonne réputation auprès de la communauté des donateurs. »

« Nous ne pouvons pas placer tous nos espoirs en elle », dit Ahmedullah. « Nous verrons plus tard ce qu’elle aura effectivement accompli, parce que même Bingu Mutharika, quand il est devenu président, paraissait être quelqu’un de bien, et puis tout a fini sens dessus dessous. »