Jan 102012
 
le secretaire general de Bawusa Nosey Pieterse

Photo : le secrétaire général de Bawusa touché au bras par une balle en caoutchouc tirée par la police à De Doorns le 8 janvier 2012 (Kate Stegemann)

Un personnage a joué un rôle central lors des protestations de De Doorns : le président de la Black Association of the Wine and Spirit Industry (Bawsi, Association noire de l’industrie du vin et des spiritueux), qui est aussi le secrétaire général de Bawusa (Bawsi Agricultural Workers Union of South Africa, Syndicat sud-africain Bawsi des travailleurs agricoles). Cependant le révérend Pieterse est un homme à la réputation contrastée. REBECCA DAVIS a mené l’enquête.

Nosey Pieterse est apparemment omniprésent dans les manifestations de De Doorns depuis novembre. Quand le Daily Maverick a passé du temps à De Doorns la semaine dernière, des sources appartenant aux ONG nous ont indiqué que Pieterse comptait parmi les rares personnes écoutées et respectées de la foule en colère. C’est lui qui est parvenu à calmer les protestataires rassemblés et à les convaincre que s’en prendre aux journalistes n’était pas dans leur intérêt. Nous avons aussi été priés de quitter De Doorns en convoi avec Pieterse, le sentiment général étant que nous ne nous ferions pas attaquer s’il était en notre compagnie.

Par certains aspects, on comprend facilement sa popularité auprès des ouvriers agricoles. Pieterse a été particulièrement actif dans des cas d’expulsion d’ouvriers agricoles. Il a aussi à plusieurs reprises fortement contribué à lancer des actions en justice visant à améliorer le sort des ouvriers agricoles : dans un cas, en 2007, il s’agissait de poursuivre l’État ainsi que l’industrie agricole pour le taux élevé d’alcoolisme parmi les ouvriers agricoles, où Pieterse voyait un héritage du système du dop 1.

Mais par d’autres aspects sa réputation est bien plus mitigée. Un ex-syndicaliste, s’adressant au Daily Maverick sous couvert d’anonymat, a dit de Pieterse : « C’est l’incarnation de notions telles que ‘opportunisme’, ‘charlatanisme’ et ‘stalinisme’ ». Pieterse est un homme d’église qui a mis à profit ses sermons pour fustiger le « système capitaliste brutal ». Mais il est également président de Bawsi qui, selon son site Internet, a pour ambition de corriger le fait qu’historiquement « les gens de couleur n’étaient pas autorisés à prendre part à l’industrie agricole en tant qu’investisseurs privés. »

Un papier de Tony Weaver publié dans le Cape Times de vendredi dernier parle de la schizophrénie due aux deux casquettes que porte Pieterse, pour Bawsi et Bawusa : « Les deux organisations ont du mal à cohabiter, pour une bonne raison : l’une, Bawusa entend représenter les ouvriers agricoles ; l’autre, Bawsi, promeut l’entrée de capitalistes noirs dans l’industrie des vins et spiritueux ». Nosey Pieterse, conclut Weaver, « doit avoir du mal à savoir qui il est ».

La confusion quant à la désignation exacte de Pieterse a, semble-t-il, gagné les médias. EyeWitness News, IOL et la SABC ont tous, à un moment ou à un autre de la semaine passée, dit de Pieterse qu’il était le secrétaire général du Building and Allied Workers Union of SA (Bawusa, Syndicat des travailleurs du bâtiment et autres secteurs apparentés). Mais ce syndicat ne figure pas sur la liste pour 2010 des syndicats sud-africains agréés. On y trouve Bcawu – le Building, Construction & Allied Workers Union (Syndicat des travailleurs du bâtiment, de la construction et autres secteurs apparentés)– et aussi Bawusa, le Bawsi Agricultural Workers Union of South Africa, avec une adresse postale à Paarl. Pour ajouter à la confusion générale, Bawusa est parfois défini dans les médias comme étant le Black Agricultural Workers Union of South Africa (Syndicat des travailleurs agricoles sud-africains noirs).

Pieterse a pu éclairer la lanterne du Daily Maverick ce dimanche. Il est le secrétaire général de Bawusa, le Bawsi Agricultural Workers Union of South Africa. Son implication dans Bawusa a commencé au début de l’année 2012 en tant que bénévole, et il a été intronisé en tant que secrétaire général du syndicat lors de son congrès de juin. Il restera en poste jusqu’au prochain congrès, en 2014.

Bawsi a précédé Bawusa de plus de 10 ans : cette association a été fondée en 1998 pour aider à la transformation de l’industrie des vins et spiritueux. « Bawsi s’est rendu compte qu’il fallait un syndicat dans le secteur agricole qui puisse s’occuper de tous les problèmes des ouvriers agricoles » a expliqué Pieterse. Ainsi est née Bawusa, il y a environ trois ans et demi. Avant la grève des ouvriers agricoles, Pieterse dit que le syndicat comptait entre 5000 et 6000 adhérents. « Je ne peux pas vous donner de chiffre exact pour maintenant, mais la croissance a été phénoménale. »

Pieterse soutient qu’il n’y a « absolument aucun conflit d’intérêts » entre Bawsi et Bawusa. Bawsi, dit-il, est une organisation à but non lucratif qui n’était pas en mesure de remplir certaines des tâches incombant aux syndicats – par exemple, représenter les ouvriers agricoles à la CCMA 2. « Il n’existait pas de syndicat pour le secteur. Fawu (Food and Allied Workers’ Union, Syndicat des travailleurs de l’alimentation et autres secteurs apparentés) n’occupait qu’une place limitée dans le secteur agricole. Le niveau d’organisation était quasi inexistant. Nous nous sommes rendu compte qu’il était crucial de créer un syndicat. »

Selon Pieterse il est presque impossible de faire la différence entre Bawsi et Bawusa en termes d’idées et d’intentions. Alors pourquoi avons-nous besoin à la fois de Bawsi et de Bawusa ? « Bawsi n’est pas exclusivement au service des ouvriers agricoles. Elle apporte aussi son aide à des nouveaux exploitants agricoles et chefs d’entreprise qui souhaitent un accompagnement afin de monter des petites et moyennes entreprises » dit Pieterse. « Bawsi ne peut pas disparaître, car elle défend les intérêts d’un groupe d’acteurs économiques plus large. »

Il ne dit pas que Bawsi fut un temps une organisation à but non lucratif très bien dotée financièrement, recevant une généreuse subvention mensuelle de la part de Sawit (SA Wine Industry Trust, Fonds de soutien à l’industrie sud-africaine viticole), créé en 1999 pour encourager la mutation de l’industrie viticole. Jusqu’à ce que Sawit connaisse des difficultés financières, ce Fonds versait 200 000 rands par mois à Bawsi pour financer des projets tels que « le développement d’entreprise, la formation individuelle, la promotion des ouvriers agricoles et l’essor syndical », pour reprendre des propos de Pieterse datant de 2007.

Mais quand il fut exigé de produire des preuves de tous ces projets portés par Bawsi, ce fut apparemment difficile d’en trouver. Le Financial Mail a rapporté en 2007 que « les seules preuves de dépenses fournies par son président, l’ex-militant anti-apartheid Nosey Pieterse, étaient une liste de poursuites judiciaires pour expulsion illégale intentées par Bawsi, et les manifestations que l’association organisait régulièrement : ‘Une manifestation, ça coûte très cher’. »

Afin de se maintenir à flots après avoir perdu la subvention de Sawit, Bawsi a annoncé son intention de vendre les parts que l’association détenait dans Phetogo, le consortium de BEE 3 qui a pris en 2004 une participation de 25,2% dans KWV. Selon le Financial Mail, Bawsi pouvait espérer réaliser une plus-value de 56 millions de rands sur cette vente, ce qui ne rendait pas tout le monde fou de joie : « [le président de KWV, Danie de Wet,] craint que la plus-value annoncée par Pieterse de 56 millions de rands que Bawsi va faire avec la vente de ses actions n’engraisse quelques associés proches, une inquiétude partagée par certains membres de Bawsi. ‘Notre crainte est qu’il souhaite vendre ses actions pour son profit personnel’ affirme l’un d’entre eux. »

Pieterse a réagi en accusant « nos ennemis dans les medias et l’establishment » de diaboliser Bawsi, et a refusé au Financial Mail l’accès aux comptes de Bawsi.

Le Daily Maverick a demandé à Pieterse ce qui s’était passé avec la vente des parts de Bawsi dans Phetogo. « Phetogo n’existe plus » a-t-il expliqué. « À l’époque du démantèlement du groupe KWV, Phetogo s’est démantelé à son tour. Bawsi possède toujours des actions dans KWV, non pas à travers Phetogo mais via Whitmore Investments. »

Donc, pour être clair, la vente attendue des parts de Bawsi dans Phetogo pour 56 millions de rands n’a pas eu lieu ? « Ce n’est pas très fair-play de me poser cette question maintenant » a répondu Pieterse [il était alors au volant], « je ne peux pas me souvenir de tout. »

Voici une autre pépité liée à Phetogo. Quand KWV a vendu un quart de ses actions au consortium Phetogo en 2004, la Cosatu (Confederation of South Afrian Trade Unions, Confédération syndicale sud-africaine) a fait connaître son mécontentement. « Nous soutenons le programme BEE, mais nous opposons à l’enrichissement de quelques-uns et à l’excès de pouvoir économique conféré à une poignée d’individus » avait déclaré Tony Ehrenreich au M&G à l’époque. « Il ne font que légitimer les pratiques inégalitaires et illégitimes de la part des exploitants agricoles. Personne ne parle de réforme agraire, c’est simplement ‘on s’octroie une part du gâteau’. »

(Le Daily Maverick n’a reçu aucune réponse aux demandes de réaction adressées à Ehrenreich dimanche, mais tout semble indiquer que Ehrenreich et Pieterse sont désormais à l’aise ensemble. Pieterse a déclaré la semaine dernière au Daily Maverick qu’ils s’entendaient « comme larrons en foire ».)

Autre accusation portée contre Pieterse récemment : il y aurait chez lui conflit d’intérêts dans la mesure où il est le président de Lindiwe Wines, un label de vins appartenant au programme  BEE et lancé en 2003 qui se voulait à l’époque « un nouvel acteur significatif dans l’industrie viticole sud-africaine – peut-être le catalyseur dont nous avons besoin pour créer de nouveaux héros du vin et faire des percées auprès des Sud-Africains qui n’en boivent pas. »

« C’est quoi, Lindiwe Wines ? » s’est irrité Pieterse lorsque le Daily Maverick y a fait référence. « C’est fini depuis de longues années. » Et en effet on a appris que Lindiwe Wines avait fait faillite en 2008, comme l’annonçait le Financial Mail à l’époque : « Lindiwe Wines a récemment coulé, avec un trou de 5 millions de rands (4 millions dus au National Empowerment Fund et 1 million dus à KWV pour le vin) ».

Un autre point a intrigué le Daily Maverick. De quelle église Pieterse a-t-il été ordonné prêtre ? Il ressort que c’est l’Église luthérienne. « Je suis un pasteur financièrement indépendant. J’apporte mes services à l’église de Dieu totalement gratuitement dans des communautés de Vredenburg, Saldanha et Atlantis. Je n’en retire aucun salaire. Je ne me fais pas rembourser mes frais de téléphone ou de transport. »

Il a marqué une pause. « N’oubliez pas d’écrire ça : je ne touche rien de l’Église. »

DM

Traduction JP et Y Richard

Source : http://dailymaverick.co.za/article/2013-01-14-in-the-eye-of-the-winelands-storm-nosey-pieterse