Fév 252011
 

Gill Marcus, patronne de la Banque centrale

Le Trésor public aime à organiser la présentation des budgets autour d’une grande idée, comme par exemple celle, en 2004, du développement rapide des infrastructures ou celle de “l’espace fiscal,” censé, pour affronter la récession mondiale de 2009, permettre au gouvernement de dépenser tout en étant déficitaire.

Le trésor est toujours flanqué d’une « section rythmique », qui accompagne ses thèmes de quelques mesures sur la stabilité macro-économique, sur la fiabilité du gouvernement et de quelques autres, rappelant ainsi aux équipes responsables de l’économie réelle le travail que l’on en attend. Mais c’est autour des grands thèmes que s’organise le “storytelling” du discours politique.

La présentation du budget 2011 par le ministre des finances Pravin Gordhan comporte un bon nombre de grandes idées, notamment celle de subventionner l’emploi des jeunes de 5 milliards de rands, celle d’investir massivement dans le “new growth path” et celle d’encourager une économie plus verte. Cependant, le financement de ces dépenses étalées sur trois ans, n’apparaît pas dans ce budget.

Il en résulte une série de propositions évoquant une équipe du ministère serrant les dents et formant une ligne de front face à des partisans de la barbarie fiscale, mais trop bridée politiquement pour entreprendre la grande offensive que nécessitent une croissance et une création d’emplois plus dynamiques et exhaustives.

L’aide aux salaires des jeunes, tant vantée dans la presse, le lendemain de la présentation du budget, choque par son absence. On la présentait comme gagnée d’avance, or elle ne l’est pas. Il s’agissait d’une série de propositions qui devaient aller devant le Nedlac, le Conseil national pour le Développement économique et l’Emploi, et y être soumises à l’examen des patrons et des syndicats.

Il apparaît maintenant que ce n’est pas ce qui était initialement prévu. Au moins d’après les rumeurs entendues au cours de conversations sur le budget avec de hauts responsables du ministère. Le Budget Review, ou rapport du budget, un document plus détaillé dont s’inspire le discours de Gordhan et qui reflète le point de vue de son ministère sur toutes les grandes questions qui le traversent, avait été édité quelques jours avant la présentation et ne laisse aucun doute sur une aide, « censée financer la création de 423 000 emplois de jeunes ».

« Que l’aide existe ou non, comme le secteur industriel embauche toujours un certain nombre de jeunes, la création d’emplois est ramenée à 178 000. Le coût de l’aide prévue sur une période de trois ans est de 5 milliards de rands. »

Constitution de l’aide
Entre le moment de l’impression du discours et sa présentation la conviction a disparu: « Certains points de l’aide à l’emploi des jeunes de 5 milliards font l’objet d’une liste, figurant sur un document de discussion, pour qu’ils soient révisés par le parlement et le Nedlac. »

Il y a deux façons de comprendre ce changement. Soit, en dépit du soutien public du président Jacob Zuma à l’aide aux salaires des jeunes, il a manqué à Gordhan le courage de passer outre la forte opposition du Cosatu, soit Zuma et Gordhan, résolus à faire passer l’aide, ont le sentiment qu’il leur faut étanchéifier leur système de défense, en passant d’abord par toutes les instances consultatives. Il est évident que Gordhan est convaincu que l’aide est la bonne solution.

Comme il le formule dans son discours: « On ne peut pas envisager un chômage de 42% des jeunes entre 18 et 29 ans comme une simple statistique. Les jeunes hommes et jeunes femmes des mégapoles, des bidonvilles, des villes ou des villages, n’ont peut-être pas d’emploi, mais ils ont des compétences. Ils ne manquent pas d’acuité et ils ont la faculté d’apprendre. Tout en connaissant leurs traditions locales, ils influencent la mode, et leur musique est une source d’inspiration. Ils nourrissent des espoirs et c’est vers nous qu’ils se tournent pour donner un sens à ces espoirs. »

Entre les lignes, il semble dire qu’il leur faudra patienter un peu, le temps que la politique de l’alliance s’acclimate à l’idée. Il y a ensuite le “New Growth Path,” rendu public par Ebrahim Patel, le ministre du Développement économique, et qui est censé, par définition, être l’idée insurpassable.

Gordhan en fait mention dans son discours et le Budget Review consacre tout un chapitre à une grande offensive en matière de « croissance et développement tous azimuts » du NGP. Mais quand on le lit attentivement, il devient très clair que le Trésor ne consacre que peu de nouveaux fonds aux initiatives relevant de la politique industrielle et des « emplois verts, » dont le NGP se glorifie. Le Review résume les choses de ces mots: « Pour la période à venir, la création d’emplois sera l’unique baromètre des avancées en l’Afrique du Sud. »

Politique industrielle
Pour soutenir cette ambition, on énonce cinq principes-clés, tous sacrés. Ce sont les principes habituels du Trésor, vieux d’une dizaine d’années environ: dépenses en matière d’éducation et de formation professionnelle, investissement dans les infrastructures, réforme de la sécurité sociale et honnêteté fiscale.

Pourquoi la politique industrielle et les emplois verts en particulier ne font-ils pas l’objet de nouveaux investissements? L’adjoint au directeur général du Trésor public, Andrew Donaldson, en parle en termes clairs: il y a des limites à ce que l’Etat peut et doit accomplir. « Nous devons faire attention à ceux que nous risquons d’exclure, » ajoute-t-il.

Questionné sur l’imminence de la 17ème Conférence sur le changement climatique à Durban et la nécessité pour l’Afrique du Sud de montrer quelque progrès, il répond: « Il faut que le débat sur l’économie verte revienne sur terre. » Autrement dit, il faut mettre sur la table des propositions sérieuses, plausibles, avant que l’Etat ne se mette à jeter son argent ici ou là. Il reste encore environ 800 millions de rands à investir et c’est sûrement de ce côté-là qu’ils seront investis, dit-il.

« La vérité, c’est que nous sommes à la pointe de la science de haut niveau… ce dont nous avons besoin, c’est d’une vraie coordination entre les ministères. » Quant aux autres aspects du NGP dont le gouvernement est responsable, le Trésor préfère soutenir l’incitation dans le secteur industriel, plutôt que de maintenir des subventions offertes aujourd’hui aux industries de l’automobile et de la confection. « Nous soutenons des investissements sérieux dans des zones de développement industriel et c’est un euphémisme que de le dire, » fait remarquer Donaldson. « C’est allé trop lentement. »

Grâce à l’argent des investissements des IDZ (industrial development zones) et en recourant peut-être à une partie du fonds pour l’emploi de 9 milliards de rands, dont Zuma a fait l’annonce dans son discours sur l’état de la nation, les villes côtières devraient connaître un développement rapide, nous confie-t-il.

« Les villes d’East London et Port Elizabeth devraient prospérer. Les infrastructures de Buffalo City ont été construites pour une ville beaucoup plus étendue qu’elle ne l’est. » Le Trésor et de la Banque centrale s’impatientent devant la lenteur de ce type de réforme qui relève de l’économie réelle ou de la micro-économie. Cette lenteur est causée par les retards de l’infrastructure, la concurrence, l’état des compétences, « le flou des réglementations de l’industrie minière et de l’agriculture » et la paperasserie. L’exaspération est manifeste, officiellement autant qu’officieusement.

Gill Marcus, le gouverneur de la Banque centrale, a passé l’année à subir des pressions pour baisser les taux d’intérêt et affaiblir le rand. Il a été clair: « Si on s’occupait des micro problèmes, il irait de soi que l’ensemble de ces choses permettrait la baisse des taux d’intérêt… Ce n’est  pas par décret que l’on assouplit la politique monétaire. »

Bref, il se peut que le budget 2011 comporte une grande idée: celle d’utiliser les ressources de l’Etat pour transformer le domaine de compétences, le marché du travail et les répartitions héritées de l’apartheid, dont l’économie est encore prisonnière, au lieu de n’utiliser les ressources que pour intervenir dans certaines sociétés ou certains secteurs.

Mais l’économie politique de 2011 reste en coulisses, à jouer en sourdine. Il en résulte qu’au lieu d’aller de l’avant, le budget se contente de défendre ses positions. C’était peut-être ce que l’on pouvait espérer de mieux, mais c’est dommage.

Traduction Michèle Flamand

Analyse Nic Dawe – Johannesburg, South Africa – Mail & Guardian du 25/02/2011
Source : http://www.businessday.co.za/Articles/Content.aspx?id=124495